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Cardinal Mercier, The Church and the Great War. J. De Volder, The resistence of a cardinal (2016)

Bernard Joassart s.j.
First lines — The subject touched upon in this book – which first appeared in Dutch – had already been prepared by several researchers. I will only mention two of them. First, Canon Roger Aubert who for a long time considered producing a scientific biography of the man who ruled the see of Malines from 1906 to 1926 ; he had the opportunity to publish substantial preparatory articles which dealt with various episodes from the life of Mercier, as well as a volume dedicated to the action of the prelate during the first year of the Great War. (...)

J. De Volder, La résistance d’un cardinal. Le cardinal Mercier, l’Église et la Guerre 14-18, trad. A.-M. Delcourt, C. Janssens, A. Dupont, coll. Histoire, Namur, Fidélité, 2016, 17×24, 196 p., 19,50 €. ISBN 978-2-87356-680-7

Le sujet abordé dans ce livre – paru d’abord en néerlandais1 – avait déjà été bien préparé par plusieurs chercheurs. Je n’en citerai que deux. Tout d’abord, le chanoine Roger Aubert, qui envisagea longtemps de donner une biographie scientifique de celui qui fut à la tête de l’archevêché de Malines de 1906 à 1926 ; il eut l’occasion de publier de substantiels articles préparatoires qui abordaient divers épisodes de la vie de Mercier2, ainsi qu’un volume consacré à l’action du prélat durant la première année de la Grande Guerre3. Et Jan De Volder lui-même, qui n’en est pas à sa première approche du sujet : en 1996, il publia un Benoît xv et la Belgique durant la Grande Guerre, ce qui, par la force des choses, l’amena à rencontrer l’action de Mercier durant le conflit4.

Au début de la guerre, Désiré Mercier (1851-1926), originaire de Braine-l’Alleud (Brabant wallon) et ordonné prêtre en 1874, était bien connu. Avant d’être évêque, il avait mené une carrière d’enseignant universitaire, en particulier au sein de l’Institut supérieur de philosophie qu’il avait fondé dans le cadre de l’Université catholique de Louvain en 1889, œuvrant, selon les directives de Léon xiii, à la restauration de la pensée thomiste. Devenu évêque, il sera certes moins directement engagé dans le travail intellectuel. Cela ne l’empêchera toutefois pas de demeurer ouvert aux questions du temps et, tout en étant fils d’obéissance à l’égard du Siège de Pierre, d’exprimer ouvertement ses opinions, en particulier lors de la crise moderniste et de sa répression : il n’hésitera pas à prendre la défense de certains réprouvés et autres menacés des foudres romaines. Et on ne peut manquer aussi d’évoquer son ouverture œcuménique qui se concrétisa dans les fameuses Conversations de Malines visant, durant les années 1921-1925, à un rapprochement avec l’Église anglicane, comme son souci social, en particulier par son soutien à la JOC naissante.

Pour le dire d’emblée, l’attitude de Mercier durant la guerre fut celle d’un patriote intransigeant. En cela, il ne varia pratiquement pas d’un iota, et se différencia tant du pape Benoît xv que du roi des Belges Albert ier, qui, ne l’oublions quand même pas, exerçaient des responsabilités différentes.

La situation était pour le moins complexe. Toute guerre est absurde par principe. Dans le cas de la Belgique, elle était d’autant plus inadmissible que le pays avait été astreint, dès son indépendance, à une neutralité absolue à l’égard de toutes les puissances ; neutralité garantie par les États eux-mêmes qui entrèrent dans la guerre ; neutralité que la petite nation avait scrupuleusement respectée jusqu’alors (on l’avait notamment bien vu lors du conflit franco-prussien en 1870) ; neutralité qui fut on ne peut plus clairement violée par l’une des puissances qui s’en était portée garante. L’invasion fut soudaine et surtout brutale : dès leur entrée en Belgique, les troupes allemandes se livrèrent à des actes particulièrement cruels et absurdes : fusillades de civils, incendie de Louvain où fut entre autres détruite la riche bibliothèque, etc. Et l’occupation de plus de quatre années ne sera pas moins durement vécue par le pays, pillages et déportations se multipliant.

Que Mercier soit monté au front – si l’on ose dire – assez vite et fort n’avait rien d’étonnant dans le contexte belge. Au sein de cette nation très majoritairement catholique, et même à une époque où n’existaient pas encore les conférences épiscopales telles que nous les connaissons aujourd’hui, l’archevêque de Malines occupait une position de premier plan – ce qui n’excluait pas une réelle indépendance de ses suffragants – et, revêtu de la pourpre cardinalice, il était, sinon de droit du moins dans les faits, un personnage « politique » nullement négligeable. Sans entrer dans les détails : depuis son indépendance, la Belgique dont la constitution prescrivait la séparation stricte de l’Église et de l’État, n’en appliquait pas moins des clauses importantes du concordat napoléonien et, dans le protocole, un prince de l’Église venait immédiatement après le prince héritier. En outre, les circonstances furent telles que le souverain, de droit chef des armées, prit effectivement le commandement de ses troupes et, en dépit d’un courage indéniable, se vit contraint de reculer peu à peu jusqu’à ce qui devint le réduit de l’Yser. En soi, que Mercier joue un rôle majeur dans la résistance à l’agresseur n’avait dès lors rien d’étonnant.

Inutile de s’étendre longuement. Le premier grand acte de résistance de Mercier fut sa fameuse lettre pastorale Patriotisme et endurance, publiée à la Noël 1914. Ce document frappa tous les esprits, en Belgique comme à l’étranger où l’on considéra le prélat comme une incarnation de tout premier plan de la résistance belge (il sera d’ailleurs triomphalement reçu aux États-Unis après la guerre) ; ce texte devint comme le « drapeau » du résistant Mercier, qui ne cessa de se poser en champion de la lutte contre l’Allemagne. Elle fit aussi de lui un personnage encombrant pour les autorités d’occupation avec lesquelles les rapports seront toujours plus que tendus jusqu’à la fin du conflit.

La politique de résistance du Cardinal s’inscrivit dans un contexte plus large, en particulier dans ses relations avec ses confrères évêques, le roi Albert et le Saint-Siège lui-même, et également à propos d’une réalité devenant de plus en plus présente dans la Belgique d’alors, à savoir l’affirmation croissante du mouvement flamand fortement encouragé par l’Allemagne.

Dans une certaine mesure, Mercier se retrouva quelque peu isolé au sein de l’ensemble des évêques qui, in fine, ne cosignèrent pas Patriotisme et endurance et se distancièrent parfois des prises de position du primat de Belgique. Non qu’ils aient jamais approuvé l’invasion allemande ni joué la carte d’une quelconque forme de collaboration. Mais ils n’en estimaient pas moins qu’à ses heures, leur collègue de Malines manquait d’une certaine prudence et attisait par trop l’hostilité des autorités d’occupation.

Le Saint-Siège certes le soutint et fit plus d’une fois savoir à l’Allemagne qu’il n’était pas question de toucher à Mercier ; le pape n’entendit pas non plus le nommer à Rome comme préfet de la Congrégation des Études, ce qu’auraient apprécié les autorités allemandes, mais ce qui aurait immanquablement fait croire à une sortie de la neutralité que le Saint-Siège s’était imposée comme règle absolue. Pour sa part, Mercier estimait qu’il était du devoir du pape de condamner l’invasion de la Belgique.

Lorsque le conflit s’éternisa et se révéla d’une cruauté sans égale au point qu’il devint de plus en plus évident qu’il n’y aurait ni gagnant ni perdant, Mercier n’entra pas dans les vues d’un Benoît xv qui, en 1917, fit des propositions d’un règlement qui précisément aurait tenu compte tout autant du principe de justice que de celui de la sagesse qui commandait d’arrêter la guerre. Sur le même sujet, Mercier ne rallia pas non plus les vues de son souverain qui estimait qu’il était nécessaire d’au moins examiner s’il n’y avait pas des pistes pour mettre fin à une situation totalement absurde.

On a souvent affirmé que Mercier était anti-flamand. L’ouvrage apporte à ce sujet des nuances qui ne manquent pas d’intérêt. À ce propos, Mercier maintint toujours le principe de l’unité de la Belgique, refusant catégoriquement la séparation administrative voulue par l’Allemagne. Par ailleurs, il s’opposa à la flamandisation de l’Université de Gand : à ses yeux, l’enseignement universitaire devait demeurer francophone car l’adoption du néerlandais nuirait aux intérêts des Flamands eux-mêmes et limiterait le rayonnement de leur enseignement.

On lira évidemment avec intérêt la conclusion de l’auteur qui, après avoir rappelé les domaines où Mercier se montra un pionnier, tente d’apprécier au mieux l’attitude de Mercier. Il lui reconnaît sans réserve la vertu de courage. Avec le recul du temps, on est certes porté à dire que Mercier – à l’instar d’ailleurs de bon nombre d’évêques de tous les pays en guerre, et comme pratiquement tous les responsables politiques et militaires – adopta une position jusqu’au-boutiste, et ceci jusqu’au terme de la guerre. Voilà qui contraste assez bien avec la hauteur de vue d’un Benoît xv, et du roi Albert qui, en décembre 1915, écrivait au prélat (sans malheureusement que la missive parvînt à son destinataire) :

Ce serait mal comprendre les nécessités de l’avenir que de refuser d’écouter les hommes de bonne volonté qui voudraient se consacrer à la réparation des maux dont nous souffrons. Même quand on est dans son droit et qu’on a souffert des injustices, on ne peut s’enfermer dans le cercle immuable d’une résistance ou d’une intransigeance qui ressemblerait à de l’orgueil ou de l’aveuglement vis-à-vis de ceux, rares, il est vrai, mais qui existent et qui cherchent honnêtement à trouver les bases de la paix. Ce serait, devant la situation de fait qui se dessine en Europe, méconnaître nos intérêts.

(p. 165-166)

Et l’auteur de commenter comme suit :

Il est curieux de constater que le roi-soldat, dans son aversion de la guerre, dans sa volonté de paix et son ouverture au compromis fut tellement plus avancé en sagesse évangélique que le cardinal guerrier qui voulait se proclamer héros de la résistance.

(p. 166)

En définitive, je serais porté à conclure qu’à la différence d’un Benoît xv, pourtant largement critiqué en son temps, Mercier « a perdu la guerre ». Mais on ne refait pas l’histoire, où les « si » n’ont pas droit de cité.

Notes de bas de page

  • 1 J. De Volder, Kardinaal Verzet. Mercier, de Kerk en de Oorlog, Tielt, Lannoo, 2014.

  • 2 Ils furent rassemblés par L. Courtois, J.-P. Hendrickx et J. Pirotte dans un volume publié à l’occasion des 80 ans de leur auteur, sous le titre : Le cardinal Mercier (1851-1926). Un prélat d’avant-garde (Louvain, Academia - Presses universitaires, 1994).

  • 3 R. Aubert, Les deux premiers grands conflits du cardinal Mercier avec les autorités allemandes d’occupation, coll. Université catholique de Louvain, Recueil de travaux d’histoire et de philologie, 7e série, fascicule 6, Louvain, Peters, 1998. Signalons que, comme très souvent dans ses publications, R. Aubert a donné à la fin de son volume un épais dossier de 40 pièces d’archives.

  • 4 J. De Volder, Benoît xv et la Belgique durant la Grande Guerre, coll. Bibliothèque (Institut historique belge de Rome) 41, Turnhout, Brepols, 1996.

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