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The Present Day Relevance of the Lutheran Challenge

Bertrand Lesoing c.s.m.

M. Lienhard, Luther. Ses sources, sa pensée, sa place dans l’histoire, Genève, Labor et Fides, 2016, 14×23, 680 p., 24 €. ISBN 978-2-8309-1605-8

Luther : Marc Lienhard ne pouvait choisir de titre plus sobre pour son dernier et monumental ouvrage, paru en novembre 2016 aux éditions Labor et Fides. Qu’on ne s’y trompe pas néanmoins, il ne s’agit pas là d’une nouvelle biographie du réformateur de Wittemberg. Sa vie n’est d’ailleurs évoquée que très succinctement au début du livre. Le sous-titre Ses sources, sa pensée, sa place dans l’histoire éclaire davantage l’intention de l’auteur : il s’agit en quelque sorte de questionner la démarche de Luther, d’en présenter la pensée afin d’évaluer la pertinence de ses intuitions pour aujourd’hui.

Tout n’est pas neuf dans le propos. Beaucoup d’éléments sont repris d’un livre paru en 1983, à l’occasion du 500e anniversaire de la naissance du réformateur : Martin Luther. Un temps, une vie, un message. Dans l’un et l’autre livre sont exposées les controverses de Luther avec certains de ses contemporains, Zwingli, Müntzer ou encore Érasme ; dans l’un et l’autre livre, la figure de Calvin reste dans l’ombre. Mais l’ouvrage de 2016 – qui ne compte pas moins de 680 pages – est plus développé. Moins biographique, il dresse de manière beaucoup plus exhaustive et systématique un état des lieux de la Lutherforschung. Et ce n’est pas l’un des moindres intérêts de l’ouvrage que de rendre accessibles à un public francophone, souvent peu averti, les dernières études sur Martin Luther menées en Allemagne, tant du côté protestant que du côté catholique. Au fil des pages et des sujets traités, Marc Lienhard présente les travaux de Karl Holl et Joseph Lortz, Bernhard Lohse et Otto Hermann Pesch. Les chercheurs de la nouvelle génération, tel Klaus Unterburger, ne sont pas oubliés. Sont ainsi mis en lumière les points discutés, les acquis, mais aussi les questions ouvertes, voire les impasses auxquelles ont abouti certains débats. Si l’on ajoute à cela l’impressionnant appareil critique de l’ouvrage qui comporte cinq index (des noms de personnes, des lieux, des auteurs modernes, des références bibliques et des thèmes), l’on comprendra que l’on a moins affaire, malgré l’épaisseur du volume, à une somme exhaustive qu’au meilleur instrument de travail actuellement disponible en langue française sur Martin Luther et son interprétation.

Le propos se déploie en dix chapitres de tailles très inégales. Un prélude permet de planter le décor et de faire le point sur quelques questions devenues incontournables, telle la date de la « percée réformatrice ». Puis Marc Lienhard aborde la question des sources du réformateur. Il entérine ce que de nombreuses études avaient déjà souligné, à savoir l’enracinement de Martin Luther dans la pensée et la spiritualité médiévales. Retiendront particulièrement l’attention les pages sur l’héritage monastique de Martin Luther (p. 110-118), véritable Sitz im Leben de sa quête spirituelle. L’auteur note combien le réformateur est redevable, entre autres, de saint Bernard, combien également la mystique rhénane et la « théologie de la piété » ont apporté à sa démarche spirituelle une impulsion décisive. La question d’une influence nominaliste n’est pas éludée.

Les deux chapitres suivants abordent ce que, dans un langage balthasarien, nous pourrions appeler la Denkform de Martin Luther, en présentant successivement la démarche et les visées de sa théologie. Comment le moine de Wittemberg aborde-t-il la théologie ? Comment lit-il l’Écriture ? Quelle langue emploie-t-il, au sens propre du terme (l’allemand et le latin) comme au sens spirituel (le langage de la Croix) ? Ce faisant, Marc Lienhard, sans prendre la peine de le préciser formellement, souligne combien la réformation, tout en ayant eu d’importantes implications sociales, politiques et économiques, est d’abord née de préoccupations religieuses.

Le chapitre v, de loin le plus important, présente les grands thèmes théologiques de Martin Luther : Dieu, le Christ, le Saint-Esprit, l’être humain, la loi et l’Évangile, la justification par la foi… Marc Lienhard n’entend pas ici proposer de nouvelles interprétations, mais extraire d’une littérature foisonnante et protéiforme les questions majeures. Comme toujours, l’analyse est équilibrée, s’appuyant sur des citations précises, extraites de l’édition de référence des œuvres de Luther, dite de Weimar. Loin de toute vision englobante, l’auteur montre les évolutions et inflexions d’une pensée qui ne veut pas se présenter comme un bloc monolithique : les événements, les circonstances mais aussi un véritable approfondissement spirituel et théologique ont façonné la théologie du réformateur. Peut-être eût-il été envisageable de se départir d’un strict souci d’objectivité pour proposer, sinon une lecture personnelle, du moins une porte d’entrée volontairement privilégiée et assumée, pour entrer dans la théologie de Luther ? Le propos n’aurait rien perdu de sa clarté et aurait gagné en vigueur. Un court chapitre clôt cette présentation en soulignant le caractère existentiel de la théologie luthérienne : avant d’être une doctrine, elle est une expérience spirituelle qui a cristallisé des espérances et mis en mouvement des femmes et des hommes en quête de sens.

Sont ensuite exposés, sans fard mais avec nuance, les « sujets qui fâchent » : la papauté, la guerre des paysans, les juifs, les Turcs et l’islam. Si par bien des aspects, Luther transcende son époque et continue à poser aux chrétiens des questions très actuelles, il reste aussi un homme de son temps, un homme pourrait-on dire englué dans son temps. Ses aveuglements, ses erreurs d’appréciation ne sauraient être cachés et continuent à susciter une certaine perplexité.

La fin de l’ouvrage esquisse une mise en perspective. Sont présentées les grandes étapes de l’établissement et de l’évolution des Églises dites luthériennes, l’impact du message sur les conceptions sociales et politiques, son apport à la culture. Enfin, sans chercher à nouer tout ce qui a été dit précédemment dans un exposé systématique, l’auteur dégage, en forme de conclusion, quelques aspects de la spiritualité, de la théologie et de la démarche de Luther qui font du réformateur un homme « pour notre temps ».

Deux questions se posent au terme de cette lecture. La première touche à l’image qui se dégage du réformateur. Marc Lienhard, qui porte ici à son achèvement une recherche commencée il y a plus de quarante ans, ne botterait-il pas finalement en touche, refusant de dégager une interprétation d’ensemble au profit de la seule analyse, rigoureuse des faits, des gestes et des écrits ? Il convient de dépasser cette impression première. Au fil des pages se détache une certaine figure de Martin Luther. Si l’auteur souligne l’enracinement médiéval du réformateur, s’il marque bien la différence entre le contexte de la fin du Moyen Âge et la société actuelle, évitant soigneusement de hasardeux parallèles, c’est pour mieux mettre en évidence le caractère profondément actuel de l’interpellation luthérienne. Martin Luther est d’abord et avant tout un témoin de Jésus-Christ qui a (ré) ouvert le chemin des Écritures. « Sans succomber à une démarche apologétique de mauvais aloi – note ainsi l’auteur – tout nous incite à souligner que la source principale et déterminante de Luther, c’est bien la Bible. On le constate dans l’ensemble de son œuvre, jusque dans sa correspondance » (p. 152). Les portes de l’Écriture ont été ouvertes par deux clefs, qui en réalité n’en sont qu’une seule : la justification par la foi et le Christ, non le Christ juge mais le Christ sauveur.

La seconde question, liée à la précédente, mais à peine effleurée, concerne la portée œcuménique de l’ouvrage. On pourra déceler ici et là une réserve vis-à-vis de certaines embardées, probablement trop optimistes. Alors qu’il y a près de cinquante ans, le cardinal Johannes Willebrands n’hésitait pas à saluer en Luther « un maître commun » aux catholiques et protestants, Marc Lienhard préfère maintenir un prudent point d’interrogation (p. 556). De même pour l’appel lancé, là encore par des théologiens catholiques, à « déconfessionnaliser » Martin Luther (p. 547s). On pourra également s’étonner, dans une étude aussi exhaustive, de la faible place laissée à la présentation et l’analyse des documents émis par la Commission luthéro-catholique romaine sur l’unité. Ainsi, seules huit lignes sont consacrées au rapport Du conflit à la communion (p. 557-558). Ce document enregistre pourtant un certain nombre des acquis de la recherche sur Luther, acquis salués par ailleurs dans l’ouvrage. Qu’on pense par exemple à l’influence du milieu monastique et de la mystique rhénane (nos 99-100). Mais on aurait tort de voir là les signes d’une remise en cause du mouvement œcuménique actuel. Simplement, l’analyse rigoureuse suivie par l’auteur évite toute vision trop englobante et simplificatrice, tout rapprochement quelque peu factice : il s’agit de ressaisir dans sa singularité la démarche de Luther. Celle-ci n’est pas un système clos sur lui-même, qu’il s’agirait, tant bien que mal, de concilier avec un système catholique. C’est finalement vers une vision tout à la fois stimulante et exigeante de l’œcuménisme que semble pointer l’ouvrage. Un appel bienvenu en cette année où nous commémorons le 500e anniversaire de la Réforme !

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