En retravaillant les catégories d'espace et de genre dans une
perspective sceptique (au sens philosophique du terme), le présent
ouvrage apporte une pierre supplémentaire au débat sur
l'interprétation du Cantique des cantiques - lequel n'a
d'ailleurs jamais vraiment cessé - et entend bien remettre en
cause les interprétations moralisantes, spirituelles ou dogmatiques
du passé liées à une lecture unifiée et trop nivelante du poème. En
prolongement des intuitions d'Athalya Brenner (The Song of
Songs, Londres, T&T Clark, 1989), l'A. congédie la
Shulamite (voir le titre de l'ouvrage) comme figure féminine
cohérente et paradigmatique ou comme symbole hégémonique de la
féminitude libérée et promeut, au contraire, une approche
pluraliste et diatopique qui explore les espaces discontinus du
Cantique (la cour royale, la ville, la vigne, le désert) et les
multiples fonctions sociales qui y sont représentées. Ce faisant,
il y discerne une pluralité de voix émanant de couples différents
et reflétant plusieurs types de relations amoureuses et d'attitudes
érotiques absolument inconciliables entre elles. Cette approche,
renforcée par une comparaison avec la poésie hellénistique antique,
lui permet de rendre compte à la fois de la cohésion formelle de ce
livre biblique et de son organisation en 4 cycles et
20 idylles. Elle le conduit surtout à lire le Cantique comme
un exemple d'inculturation réussie de thèmes dionysiens dans le
monde juif et à proposer, pour ce texte syncrétique, une origine
transjordanienne à l'époque des Tobiades, famille juive hellénisée
dont le centre administratif est justement situé, selon Flavius
Josèphe, dans la forteresse de Heshbôn (cf. Ct 7,5).
Aussi éclairant soit-il, reste à savoir si ce contexte
hellénistique suffit à rendre compte de toutes les aspérités de ce
texte si énigmatique. - D. Luciani