Vers 1120, le jeune abbé de l'abbaye bénédictine de Saint-Thierry,
près de Reims, écrit pour sa communauté une oeuvre pédagogique
exposant sa conception de l'amour surnaturel. Rangé parmi les
écrits de St Bernard de Clairvaux avec qui il entretint une
profonde amitié, l'ouvrage bénéficia d'une large diffusion. L'A.
agence son propos à partir du thème classique des âges de la vie
spirituelle, ici distribués en quatre temps qui constituent quatre
parties, précédées d'un prologue sur la pédagogie de l'amour (1) et
le faux amour charnel (2) : la naissancede l'amour
qu'est la volonté d'aimer (3-5, 15) ;
la jeunesse qui est le temps de la purification
(5, 16-9), des premières expériences mystiques (10) et de la
tentation d'être arrivé (11) ; la maturité qui
est le temps du progrès, transformant l'amour en charité,
c'est-à-dire en affectus (13-14), se déployant
dans les cinq sens spirituels (15-20), jusqu'à la vision de Dieu
(21), puis dans la mort spirituelle à soi-même et l'école de la
charité (22-26) ; la vieillesse qui est le temps
de l'affermissement spirituel, que l'A. décrit pour elle-même
(26-33), dans le Christ (34-38), en son contraire (39-41) et en sa
pratique (42-45).
Osons poser une question à cette oeuvre qui, rédigée vers 35 ans,
anticipe pourtant bien des thèmes (p. ex. l'amour comme
vision) qui seront déployés dans son chef d'oeuvre, l'Epistola
ad fratres de Monte Dei, la « lettre d'or » : si elle traite,
déjà admirablement, du spécifique de
l'amour chrétien, à savoir un amour qui vient de Dieu
et tourne vers Lui, dans une histoire de conversion et de progrès,
en se fondant sur la théorie aristotélicienne du lieu et, plus
généralement, de l'appetitus naturalis (1, p. 89-93),
explicite-t-elle ce qu'en retour Dieu lui-même révèle de
l'amour, à savoir qu'il est don de soi jusqu'à l'extrême
(cf. Jn 13,1 ; 15,13), donc sans prédétermination par son
objet ? - P. Ide