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The Historical Reevaluation of the Fourth Gospel

Yves Simoens s.j.
Because of its theological and spiritual character, the fourth gospel has often been considered as unreliable from the point of view of historical verisimilitude. Some representative pericopes contribute to invalidate this position by restoring their historical veracity. However this is on condition that we decompartmentalize Johannine “believing” and history. The concern to centre attention on the urgency of believing is not in contradiction with historicity. It invites us to take the historical character of faith into account. In the Gospel according to John, faith becomes history and history is penetrated by the faith of persons and communities.

La fiabilité historique du quatrième évangile a été réévaluée, ces dernières années, du point de vue de son information sur Jésus et sur ses disciples2. Un sondage partiel lié aux limites imposées par cette communication permettra de vérifier la pertinence du travail exégétique en la matière.

I Le prologue (Jn 1,1-18)

Pour la question qui nous occupe, Craig S. Keener3 centre l’attention sur Jn 1,14b que je traduis : « Nous admirâmes sa gloire ». Le contenu théologique de l’affirmation lui vient de l’incarnation du Logos dans l’histoire, ce qu’exprime l’ensemble du verset :

Et le Verbe chair devint et il dressa-la-tente en nous et nous admirâmes sa gloire, gloire comme d’un unique-engendré, accompli de grâce et de vérité4.

Le « nous », en position de complément dans : « Il dressa-la-tente en nous », et en position de sujet dans : « Nous admirâmes sa gloire », comme le verbe « admirer » et le substantif « gloire » militent pour l’historicité de l’événement rapporté. L’auteur cité le justifie en étudiant la portée d’« admirer » et de « gloire » dans les sources, tant hellénistiques que juives, de l’époque. Le rapport à la Sagesse et à l’alliance dans l’Ancien Testament lui permet de souligner la portée historique de l’assertion, grâce au caractère historique des textes cités. Ceux-ci font l’objet d’une critique, encore débattue en ce qui concerne le Pentateuque surtout. Il faut prendre en compte le genre épique des récits sur Abraham, Moïse et les traditions de l’alliance, comme le processus complexe des traditions dans la transmission des textes. La dernière phrase de sa conclusion ne laisse planer aucun doute sur l’histoire reflétée par le texte johannique :

La fixation de Jean sur la révélation en ce Jésus qui vint dans la chair, mis en évidence de façon exemplaire dans l’histoire qu’il rapporte en son évangile, suggère qu’il a poursuivi le même but pour son propre récit5.

L’affirmation sur la venue dans la chair du Verbe et sur la vision de sa gloire n’est pensable que dans la foi, même si elle peut relever d’une investigation a-confessionnelle. Il faut dès lors justifier le caractère historique de l’acte de croire que suppose Jn 1,14. C’est le point sur lequel je voudrais pour ma part attirer l’attention. L’entreprise est facilitée parce que l’auteur du quatrième évangile y a pensé avant nous. Selon l’enchaînement des versets du prologue, la mention de l’incarnation ne survient qu’au terme des deux versets précédents, les plus discutés et les plus controversés du prologue, sans doute parce qu’ils en constituent le centre littéraire et théologique. Je les rappelle dans une traduction qu’il faudrait justifier davantage, mais ce n’en est ici ni le lieu ni le moment :

12Autant qui le (le Verbe lumière : v. 9) reçurent, il leur donna pouvoir, enfants de Dieu, de devenir, à ceux qui croient en son nom,

13eux qui, non de sangs, ni de volonté de chair, ni de volonté d’homme, mais de Dieu furent engendrés.

Irénée surtout a retenu la lecture au singulier du v. 13. Le contexte de ce choix est la défense de la conception virginale de Jésus contre les gnostiques docètes et les ébionites6. L’interprétation, légitime, est cependant marginale par rapport à ce que veut mettre en relief la leçon, de loin la mieux attestée en critique textuelle, du verbe ??????????? au pluriel, qui conclut le verset. C’est aussi un beau cas de lectio difficilior. Il est en effet plus facile, jusqu’à un certain point car le mystère demeure, de comprendre que le Christ ne soit engendré ni des sangs — maternels : c’est la meilleure manière de lire ce pluriel —, ni de volonté de chair — masculine et féminine —, ni de volonté virile — ????ò? génitif singulier de ????, ne laisse aucun doute sur la volonté du père humain, ici soulignée. Dans des cas de ce genre, il convient de ne jamais ignorer les diverses possibilités d’interprétation en présence. Adopter la leçon au pluriel de l’engendrement divin en l’appliquant aux croyants n’occulte en rien le sens du singulier, au contraire. C’est parce que l’on peut dire d’abord du Christ qu’il est engendré comme Fils du Père, l’Engendrant, comme le comprendra la théologie trinitaire, qu’il est possible de comprendre aussi, et dans le prolongement d’une telle lecture, que le même engendrement peut qualifier le croyant. L’interprétation est traditionnelle : le croyant est par grâce ce que le Fils est par nature. Harnack, suivi par des exégètes contemporains de différentes confessions, prétendait qu’il y a ici une interpolation indue qu’il faut supprimer. Certains théologiens de nos jours trouvent cette interprétation difficile parce que, s’ils voient bien que le croyant peut être le lieu d’une régénération, ils se demandent comment on peut parler de « naissance » virginale à son sujet. C’est sans doute parce que le vocabulaire johannique n’opère pas cette distinction. Si le Verbe fait chair est engendré de Dieu, le croyant l’est aussi. L’affirmation est stupéfiante. Aussi l’auteur poursuit-il en montrant que cet engendrement divin du croyant n’est compréhensible qu’à la lumière de l’incarnation. Le v. 14 suit pour déployer cette implication. C’est au titre d’une implication supposée, pour que le croyant soit considéré, non selon une filiation adoptive — ce serait l’optique de Paul —, mais selon une filiation divine qui ne nie pas la génération humaine, bien entendu. Cette filiation divine se situe au niveau du réel de la foi, du « croire », comme préfère le dire le texte johannique. Elle suppose l’incarnation.

Cette discussion nous plonge au cœur de la question qui nous occupe. La vie du « croire », loin d’exclure l’histoire et ses exigences, nous situe dans « l’actualité historique »7 du croyant. La recherche historique sur l’Écriture et sur le quatrième évangile, en l’occurrence, est suscitée par le désir de comprendre la foi dont ils représentent des relais majeurs. Cette recherche fait partie, dans la Tradition, de l’intelligence de la foi pour en rendre compte dans un monde sécularisé qui porte la marque de l’héritage chrétien. La réévaluation historique du quatrième évangile procède d’un tel horizon culturel. Elle force à redécouvrir la dimension historique de son axe majeur : la foi vécue, l’acte de croire. La réévaluation historique de l’évangile johannique coïncide donc avec la réévaluation de l’existence historique des croyants. L’évaluation historique du quatrième évangile ne peut ainsi s’opérer sans l’évaluation historique de ses effets dans l’Église comprise comme « incarnation de surcroît », pour reprendre une expression d’Élisabeth de la Trinité. Il s’agit en somme de prendre en compte la qualité d’une vie de foi qui rejoigne son sens johannique : l’identification du croyant au Verbe incarné, selon toutes ses composantes, du « commencement »-???? — objet formel de cet évangile dès le prologue — à la « fin »-????? (Jn 13,1 ; cf. Ap 22,13). Réévaluer l’histoire de Jésus selon Jean, c’est en ce sens réévaluer la théologie historique du quatrième évangile. Cette théologie est aussi une anthropologie du croire, si bien qu’il ne saurait y avoir, en pareille problématique, aucune opposition entre histoire et théologie. Son centre, c’est le rayonnement de la totalité du mystère du Christ dans l’existence individuelle et communautaire, donc aussi historique, des croyants. La présence effective du Christ en faveur du monde et de l’histoire s’évalue grâce aux croyants qui vivent de sa vie. La mise entre parenthèses phénoménologique de la résurrection pour des raisons méthodologiques, liées à l’investigation historique, me semble, dans cet ordre d’idées, difficile sinon impossible.

Les présupposés du croire font prendre en compte, dès le prologue, le témoignage de Jean dans les deux passages qui lui sont consacrés en Jn 1,6-8 et 1,15. La médiation du témoin Jean est indispensable à l’acte de croire. Le v. 7 est laconique et, de ce fait, énigmatique à cet égard. C’est souvent, comme nous le verrons encore par la suite, ce qui suscite l’attention et la recherche sur le texte johannique.

Celui-ci vint pour un témoignage afin qu’il témoigne au sujet de la lumière afin que tous croient à travers lui.

Que le croire universel de tous tienne au témoignage de Jean, voilà de nouveau ce qui semble bien constituer la lectio difficilior du verset. C’est au point que l’on se demande si le pronom ????? de la fin du verset ne pourrait pas avoir comme antécédent le Verbe lumière ou éventuellement Jean, l’évangéliste, sur le nom duquel joue le titre du recueil et peut-être le seul nom propre « Jean » dans le prologue. Comment donc le témoignage de Jean peut-il revêtir une importance décisive pour le croire de tous ? Le v. 15 apporte quelque élément de réponse.

Jean témoigne à son sujet et il a crié disant : « Celui-ci était, que je dis : “Celui qui derrière moi vient, devant moi est devenu parce que (avant) moi, (le) premier, il était” ».

Le verbe « témoigner » est, cette fois, au présent. L’aphorisme revient au début du récit, en Jn 1,30, immédiatement après la désignation de Jésus comme « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (v. 29). Ces deux précisions mettent en évidence le lien intrinsèque entre Jean et Jésus, le baptême de l’un et le baptême de l’autre. Ces observations renforcent certaines composantes du « croire » johannique. D’une part, le témoignage de Jean continue à être indispensable au croire. Jusque dans les récits de la résurrection, le croire est en effet suspendu au témoignage des disciples. Toute existence croyante dans l’histoire repose sur la qualité des témoins. D’autre part, le croire lui-même se déploie sous deux axes complémentaires : chronologique et a-chronique, l’axe de la succession dans le temps de Jean qui vient avant Jésus et l’axe de la transcendance de Jésus par rapport au temps de Jean, qui le définit comme « premier », absolument parlant, eu égard à Jean parce qu’il est le Logos de l’origine. Cette origine le met nécessairement en rapport avec la fin. Celle-ci suppose de nouveau la résurrection, selon la conception biblique de l’accomplissement — apocalyptique — du temps et de l’histoire. La confession de foi, réduite à l’essentiel de Jésus, confessé comme Christ à la fin du prologue, au v. 17, ne laisse planer aucun doute à ce sujet.

Le caractère à la fois historique et transhistorique de l’acte de croire s’en trouve ainsi valorisé. Il fait partie de la réévaluation historique du quatrième évangile. Pour le dire avec la force du paradoxe qui traverse l’ensemble du texte : plus on soulignera sa dimension historique, plus aussi on sera forcé d’en souligner la dimension transhistorique. Ces deux dimensions indissociables font partie du message de l’évangile. La clé en est l’acte de croire en Jésus, confessé comme Christ. Cette réalité est historique et elle échappe à l’histoire en la fondant. Un certain nombre de détails au sujet du baptême de Jean abondent en ce sens.

II Béthanie et Bethsaïde

Le dossier du baptême est un des plus complexes du Nouveau Testament8. En faveur de l’historicité des traditions johanniques à ce sujet, les toponymes ont fait l’objet d’études remarquables, notamment sur Béthanie et sur Bethsaïde.

Sur Béthanie, un paragraphe de Jean-Christian Petitfils fait très bien le point.

Ce bourg de Béthanie (Beith Ananiah, la « maison des dattes »9), en Pérée du Sud, sur la rive orientale du Jourdain [en note de bas de page 68 : À ne pas confondre avec le village du même nom, proche de Jérusalem, où vécurent Marthe, Marie et leur frère Lazare.], dont l’existence est signalée en 333 par un voyageur qu’on appelle « le pèlerin de Bordeaux », mais qui était abandonné depuis l’époque des croisades, a été redécouvert en 1996 par une équipe d’archéologues jordaniens dirigée par Mohamed Waheeb, du département des Antiquités d’Amman. Sur un tell situé en amont, à moins de deux kilomètres du cours actuel du fleuve, des piliers, des restes de murs, des céramiques et des monnaies du i er siècle ont été mis au jour, non loin des fondations de deux églises postérieures du v e siècle, l’une dédiée à Élie, l’autre à saint Jean-Baptiste (cette dernière aurait été construite par l’empereur byzantin Anastase). Une pierre gravée porte les lettres ioy batt, abréviation de Jean le Baptiste. Un peu plus loin, cinq bassins, alimentés par un réseau hydraulique complexe, attestent du rite baptiste [en n. 20 en fin de volume, p. 587 : certains chercheurs (dont Bargil Pixner) ont voulu placer Béthanie beaucoup plus haut, en Batanée, au bord du torrent Kerit (Yarmuk), zone soumise à Hérode Philippe. Mais cette hypothèse s’est écroulée depuis la découverte en 1996 du site de Wadi Kharrar.]. Dans un paysage caillouteux et désertique, le site, au confluent du Jourdain et de la petite vallée du Wadi Kharrar, forme une oasis à la végétation abondante, plantée de tamaris et de roseaux. Poursuivant leurs travaux, les archéologues y ont repéré les vestiges de onze églises et chapelles ainsi que des grottes ayant servi de retraites à des ermites10.

Pour le rédacteur du texte, le lieu de Béthanie ne représente qu’une partie de la précision géographique qui lui importe. Dans les propos qui précèdent, Jean se définit comme n’étant pas digne de délier la courroie de la sandale de celui qui vient derrière lui (Jn 1,27). La portée symbolique de la détermination lui vient d’un renvoi implicite à Rt 4,7, dans le récit de la relation d’acquisition de Ruth par Booz selon le cadre de la loi du lévirat. Il s’agit d’un rite d’alliance. Jean renonce au geste qui permettrait à « celui qui vient derrière lui » d’acquérir l’épouse. Il ne s’estime pas digne de désigner cette personne encore énigmatique de Jésus qui vient à lui comme l’époux de l’épouse. La symbolique nuptiale se trouve introduite par le témoin Jean dès avant la première apparition de Jésus sur la scène de l’histoire (Jn 1,29). Avant donc que Jésus ne soit désigné par Jean comme « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », il est implicitement introduit comme l’époux. Selon la figure stylistique qui lui est la plus chère : la prolepse, l’auteur du quatrième évangile anticipe ce qui surviendra lors du dernier témoignage de Jean en Jn 3,22-4,3a. En clair, Jean s’y présente comme l’ami de l’époux en suggérant, toujours de manière allusive, que Jésus est l’époux qui a l’épouse (Jn 3,29). Dans les deux premières phases de son témoignage, Jean nie être le Christ, Élie et le prophète. Il laisse entendre ainsi qu’il précède celui qui seul peut être le dépositaire de ces titres. Le tout est récapitulé par l’identité de l’époux, suggérée en Jn 1,27, grâce au geste dont Jean ne s’estime pas digne. Sur l’arrière-fond de l’alliance vétérotestamentaire, il ne peut s’agir que du Seigneur, l’Époux de son peuple, l’Épouse dans l’alliance11. De multiples données historiquement fiables se trouvent ainsi entrelacées au niveau du récit : elles font toutes appel au réel historique de la foi d’Israël. La tonalité énigmatique de leur suggestion fait partie de cette manière sapientielle et apocalyptique d’écrire.

Un travail analogue d’interprétation peut être mené à partir de l’autre toponyme évoqué : Bethsaïde. Une étude de Mark Appold12 révèle l’importance de ce site pour cinq disciples de Jésus, dans l’évangile johannique, de façon explicite pour les trois premiers nommés : André, Simon Pierre et Philippe (1,43), de manière implicite pour les deux fils de Zébédée (21,2) dont peut-être Jean dans le disciple non nommé en Jn 1,35-4013. Là encore, les recherches archéologiques menées sur ce site ont approfondi les connaissances historiques à son endroit. Mais ce n’est de nouveau qu’un aspect de la réalité. Le même texte nous fait plonger plus avant aussi dans la réalité historique de la foi d’Israël, véhiculée à présent par la présentation de Jésus par Philippe à Nathanaël. La formulation est si dense qu’elle se heurte à un blocage de l’interlocuteur.

45Il trouve, Philippe, Nathanaël, et il lui dit : « Celui-qu’avait écrit Moïse, dans la Loi, et les Prophètes, nous l’avons trouvé : Jésus, fils de Joseph, celui de Nazareth. » 46Et il lui dit, Nathanaël : « De Nazareth, peut-il être quelque chose de bon ? »

Il ne s’agit pas ici de la retranscription du dialogue par un témoin de la scène — qui serait-il ? —, prise au vol sur des tablettes d’argile14. Il faut faire droit à une créativité dans l’élaboration du texte. Elle suppose les traditions de la foi d’Israël, mais tout autant sinon plus encore le « croire » de l’auteur qui transmet l’évangile comme une confession de foi et non d’abord dans un souci d’exactitude historique. Celle-ci n’est pas prise en défaut, mais elle n’est pas au premier plan des préoccupations. Ce qui domine, comme il est dit en toute clarté dans la première conclusion de l’évangile (Jn 20,30-31), c’est d’aider à croire que Jésus est le Fils de Dieu et qu’en croyant, les destinataires du message aient vie dans son nom. Ce propos de foi est historique et créateur d’histoire dans la foi vécue de ceux et celles qui y adhèrent. Ce Jésus ici raconté est le Jésus de la foi des disciples. Et ce Christ est le Christ de l’histoire de ceux qui y ont cru.

Pour conclure ce premier volet de l’investigation dans la ligne ainsi tracée, je voudrais faire droit à deux questions qui se posent à propos de ces premiers textes évoqués. La première concerne le baptême de Jésus : baptisait-il, ne baptisait-il pas ? Si non, la question est réglée dans la ligne de l’incise en 4,2 : « Cependant, Jésus, lui, ne baptisait pas, mais ses disciples ». Et il faut quand même s’expliquer sur la raison de cette incise. Si oui : comment ? La deuxième touche au sens du « commencement des signes à Cana de la Galilée ». Procédons par ordre.

III Le baptême de Jésus

Jésus baptisait-il ou ne baptisait-il pas ? La question est inéluctable à la lumière des textes (Jn 3,22.26 ; 4,1.2 — déjà cité —.3).

3,22 Après ces choses, il vint, Jésus et ses disciples, vers la terre judéenne, et là il séjournait avec eux et il baptisait. (…) 26 (De ses disciples) vinrent auprès de Jean et ils lui dirent : « Rabbi, celui qui était avec toi au-delà du Jourdain, à qui, toi, tu as témoigné, vois : celui-ci baptise et tous viennent auprès de lui. » (…) 4,1 Comme donc il connut Jésus, qu’ils avaient entendu, les Pharisiens, que Jésus /le Seigneur/ fait et baptise de plus nombreux disciples que Jean 2— cependant Jésus, lui, ne baptisait pas, mais ses disciples —, 3 il laissa la Judée et il s’éloigna de nouveau vers la Galilée.

À la lecture de ces versets, il semble ne faire aucun doute que Jésus ait baptisé. Non à la manière de Jean : d’un baptême d’eau, ni à la manière du baptême des prosélytes au temple de Jérusalem, ni selon les rites d’ablutions rituelles de Qoumrân ou d’autres confessions religieuses comme dans le Gange en Inde. Jean est formel : Jésus baptise dans l’Esprit Saint. Selon Jn 7,39 pourtant : « Il n’y avait pas encore d’Esprit parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. » Autre crux interpretum. Il est pourtant possible de s’expliquer. L’Esprit n’a pas encore été reçu par les croyants (Jn 7,38) parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. Il ne sera en effet livré par Jésus que dans sa mort sur la croix (Jn 19,30) et il ne sera proposé à la réception des disciples que le soir de Pâques (Jn 20,22). Cela n’empêche pas Jésus d’être dès son incarnation et le début de sa vie publique le lieu de l’Esprit Saint. Il ne peut communiquer son Esprit qu’en étant glorifié. Mais cette glorification même survient, selon les données de Jn 13 et Jn 17, en deux temps, avant sa Pâque effective dans sa mort et sa résurrection. La glorification de Jésus prend en effet dans le quatrième évangile un sens particulier, trop peu explicité en général. Jésus ne communique par sa mort et sa résurrection que ce dont il dispose dès l’origine de sa relation au Père. L’Esprit est cette relation. Dès lors, en tout ce qu’il dit et fait dès le début de sa vie publique, il est en état de baptiser dans l’Esprit Saint. Comment ? Par sa parole et par ses gestes15. C’est une des motivations majeures pour raconter son histoire. Sa parole se déploie en relation et en dialogue avec les disciples, sa mère, ses partenaires, accueillants ou réfractaires, Nicodème, la Samaritaine, le paralytique de Béthesda, l’aveugle de la piscine de Siloé. Jésus plonge ainsi dans le tréfonds de son être filial et fraternel pour faire entrer en cette vie qui est la sienne avec le Père et avec autrui. Ses actes manifestent son autorité sur la création : l’eau de Cana, mais aussi les corps des personnes qu’il rencontre en les guérissant ou en les ramenant à la vie. C’est ce qui nous conduit au « commencement des signes à Cana de la Galilée ».

IV Le signe de Cana

L’ouverture sur « le troisième jour » (Jn 2,1) peut être lue comme une réminiscence de l’alliance conclue au Sinaï16. Celle-ci est renforcée par le contexte de noce17, mais surtout par la deuxième prise de parole de la mère : « Ce qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2,518). L’absence de vin fournit le motif de la première intervention de la mère. La réponse de Jésus, dans son adresse à sa mère : « Femme », sur le mode interrogatif19, laisse entendre que, si son heure n’est pas encore venue (verbe ????????), selon des affirmations réitérées du quatrième évangile20, cette heure est bel et bien en train d’arriver (verbe  : Jn 2,4). Le même rapport complexe qui unit Jésus et Jean unit donc aussi Jésus et sa mère. Jean précède Jésus sur le plan chronologique, Jésus précède Jean sur le plan de l’accomplissement du dessein créateur et sauveur de Dieu. La mère précède le fils en le mettant au monde dans l’histoire, mais le Logos-Époux précède la mère-Épouse au plan de la création et du salut qui fonde et surplombe l’histoire. Voilà ce qui est suggéré au plan symbolique par la transformation de l’eau en vin. Seul le symbole permet en effet d’exprimer cette réalité en la suggérant. Les époux de la noce sont donc les personnages qui figurent au-devant de la scène dès le début du récit : Jésus et sa mère. Ces épousailles donnent leur sens aux époux présents, eux aussi, à la noce. L’Époux Jésus et l’Épouse, mère de Jésus, Israël-Église, loin de porter ombrage à la joie des époux de la noce, la fondent et la couronnent. Le baptême de Jean comme rite de purification du péché cède le pas au sacrement du baptême, fondé et instauré par Jésus. La noce humaine à Cana de Galilée, qui met également en scène l’économie de l’eau purifiante des juifs, sert d’occasion à « manifester la gloire » du Fils. Cette noce fonde dès lors le sacrement du mariage chrétien21. Cette réalité de foi — « ses disciples crurent en lui » —, dans l’histoire, transforme donc l’histoire. L’histoire n’est pas oblitérée par cet événement qui se déroule bien dans le monde, en Israël, mais en même temps, c’est une histoire transfigurée en quelque sorte par la présence de Jésus et de sa mère. Une transcendance permanente traverse déjà l’histoire d’Israël dans l’Ancien Testament. Paradoxalement, la noce entre l’Époux et l’Épouse accomplit cette histoire à Cana de la Galilée.

V La plèvre percée de Jésus en croix

La seule autre séquence mariologique de l’évangile (Jn 19,25-27) met en scène une transformation du disciple aimé de Jésus en fils de sa mère. Le ressort de la scène demeure le même. Cette fois pourtant, le Logos créateur est l’Innocent crucifié comme un malfaiteur. Le Logos créateur à présent crucifié définit donc la vocation à la maternité du féminin et la vocation à la filiation du masculin22. Au terme, à la fin-????? (cf. Jn 13,1), dans l’histoire au regard du croire, s’accomplit l’origine-???? (cf. Jn 1,1).

Un peu plus avant dans le texte, la clé herméneutique du mystère est délivrée : au moment post mortem (19,28-30) où la plèvre23 de Jésus est percée par la lance d’un soldat. « Et sortit aussitôt sang et eau » (19,34b). Les symboles — sacramentels — du sang eucharistique et de l’eau baptismale expriment ainsi ce qui sort — au singulier — de la plèvre de Jésus déjà mort. Ce côté de Jésus prend ainsi, dans le Canon biblique, le relais de la plèvre d’Adam endormi d’un sommeil analogue — proleptique. Ce que le Seigneur « construisit » pour l’Adam indifférencié d’une de ses côtes : la femme- -????, devient dans le texte johannique « sang et eau » de la femme-Épouse-Église de Jésus endormi dans la mort effective. Le programme de la démythologisation bultmannienne se trouve honoré, mais dans un sens bien précis. La démythologisation en question consiste à donner son sens historique à ce que le mythe biblique ne pouvait qu’esquisser. Ce pressentiment était juste et vrai. Le sang de la plèvre percée est eucharistique (Jn 6,53-56). Il ne crie pas vengeance au ciel comme celui du juste Abel (Gn 4,10). Il répond à la violence par la mise en œuvre de la réconciliation et de l’action de grâce qui en découle. L’eau issue de la même source est paradoxalement vivante (cf. Jn 4,10 ; cf. Jr 2,13). Plus encore que l’eau de la génération d’en haut, d’eau et d’Esprit (Jn 3,5), au cours du dialogue entre Jésus et Nicodème, cette eau-ci précède et complète l’engendrement des sangs maternels du prologue24. Cette réalité historique n’est perceptible que dans la foi et pour la foi. Elle fait l’objet du témoignage de « celui qui a vu », des yeux de sa foi.

Et celui qui a vu a témoigné et il est véritable, son témoignage, et celui-là sait qu’il dit des choses-vraies afin que vous aussi, vous croyiez.

(Jn 19,3525)

Croire consiste donc bien dans l’engendrement à cette vie divine qui respecte le réalisme de tout l’humain par père et mère, manifesté grâce au Christ en sa mort même. Le croyant participe ainsi de cette symbolique nuptiale révélée dans l’incarnation et dans la Pâque du Verbe fait chair. Cette symbolique se réalise par le jeu des relations entre hommes et femmes dans la communauté ecclésiale.

Pour ce texte-confession de foi et son auteur, Jésus ressuscite à la manière dont il meurt. La résurrection n’est pas à chercher dans un « après » cette mort. La vie surgit de cette mort. L’engendrement divin du prologue survient dans le « sang », au singulier, dans l’eau de la plèvre du Crucifié. Il a déjà livré l’Esprit dans l’acte même où il a rendu le dernier souffle (Jn 19,30), en répondant ainsi à la « livraison » dont il a été victime. Le croyant est engendré de Dieu dans et de cette mort d’amour absolu et inviolable. Cet engendrement est historique : il ne peut survenir que dans l’histoire sous peine d’être imaginaire. Le croire se fait histoire. Il est le ressort de l’histoire et des détails historiques fournis sur la vie et la mort de Jésus, plus et mieux que sur tout autre personnage de l’Antiquité et de la grande Histoire.

Il serait encore possible de le montrer à la lumière dont l’Eucharistie nous est contée dans cet évangile, de Jn 6 à Jn 13-17. Le récit des pains et de la marche de Jésus sur les eaux agitées, la nuit qui suit ce matin illuminé, illustrent le quatrième, puis le cinquième signe (6,1-24a). « Le commencement des signes » à Cana est suivi du second signe à Cana : la guérison du fils de l’officier royal (Jn 4,46-54). Cette guérison est accolée à une autre, à Jérusalem : le paralytique de la piscine de Béthesda. Ces signes déploient dans l’histoire « le commencement de signes », nuptial, à Cana. Les chapitres 13 à 17 inscrivent aussi dans l’histoire de Jésus et de la communauté la portée eucharistique des pains. La même logique symbolique est partout à l’œuvre. Le croire se fait histoire. Et l’histoire déploie les significations multiples et complémentaires du croire.

Il faut conclure. Je le ferai en revenant sur la question disputée des ????????????-« exclus de synagogue »26.

VI L’évangile johannique et le judaïsme de Yavné-Jamnia

John Louis Martyn27 a répandu l’hypothèse d’après laquelle la problématique johannique de l’exclusion de la synagogue remonte à l’assemblée de Yavné, en hébreu-araméen, ou Jamnia, en grec, dont la date est située pour certains entre 80 et 90, pour d’autres entre 90 et 110 de notre ère. C’est un repère pour dater avec une certaine approximation, non seulement l’évangile, mais tout le corpus johannique28.

La Birkat ha-Minim-« la bénédiction des hérétiques », la douzième des Dix-Huit Bénédictions-Shemoneh Esreh de la prière de la Amida, dans la liturgie juive encore actuelle, est couramment associée à Yavné-Jamnia. Edward W. Klink III29 rappelle que le texte a connu une version, trouvée dans la Guenizah du Caire, datant de la période du second temple, c’est-à-dire avant 70. Il porterait avant tout sur les tensions entre des groupes de Sadducéens, de Samaritains et de chrétiens, sans focalisation particulière sur les chrétiens. À la différence des autres « hérétiques », les chrétiens y figurent quand même nommément, au titre de noçrîm-« nazaréens ». L’argument d’après lequel la date de ce texte serait antérieure à la rédaction du quatrième évangile, considérée plus tardive, n’infirme pas sa portée. Il ne fait que souligner le caractère déjà effectif de la « bénédiction »30, avant la destruction du temple et la réorganisation du judaïsme d’obédience pharisienne à la fin du premier et au début du deuxième siècle. À l’autre extrémité du spectre critique, Daniel Boyarin relativise la « bénédiction » en la situant bien plus tard dans les traditions juives : troisième, quatrième, sinon sixième siècle31. Ces dispositions peuvent n’avoir trouvé leur effectivité que bien après la rédaction du quatrième évangile. Elles n’en plongent pas moins leurs racines avant la destruction du second temple, donc à l’époque du Nouveau Testament.

Pour une tendance majoritaire de la critique actuelle, il y aurait anachronisme à situer les décisions juives d’exclusion des chrétiens de la synagogue à une époque plus tardive que celle de Jésus. Le terme d’« exclus de la synagogue » reflèterait des tensions entre groupes juifs du temps de Jésus. Les disciples n’auraient rencontré que le même type d’opposition que celui dont Jésus fit les frais. De ceci, l’on peut convenir sans difficulté. L’évangile johannique apparaît à la fois le plus juif des quatre évangiles et le plus opposé aux juifs qui ne reconnaissent pas en Jésus le Messie de leur peuple32. Le plus théologique des débats s’avère ipso facto le plus conforme aux données historiques. Le quatrième évangile n’en est pas pour autant infidèle à l’histoire. Des allusions possibles à une situation postérieure de la communauté, en décalage avec la vie de Jésus, ne sont pas l’apanage de cette tradition. À ce titre, la thèse de J. L. Martyn ne me semble pas à rejeter totalement. La réalité historique est à nuancer peut-être, mais il est indéniable que de fortes tensions aient vu le jour entre Jésus, ses disciples et d’autres courants du judaïsme officiel. Cela n’empêche pas d’y voir des « conflits de famille ». Mais à un certain moment les différentes confessions de foi ont dû paraître inconciliables. La prière de Jésus en Jn 17, pour ne prendre que cet exemple éloquent, favorise l’« un » en cherchant à montrer que la confession de foi trinitaire n’est pas incompatible avec la foi juive dans le Dieu Un. Une telle insistance sur l’« un » s’inspire du Shema Israel de Dt 6,4s. Elle manifeste à quel point l’« un » est en péril, mais qu’il est impensable d’y renoncer.

La tournure violente qu’ont prise ces débats aurait pu être évitée s’il n’y avait pas eu surenchère des deux côtés. Ce que dit l’évangile, c’est que Jésus et ses disciples, traversés par ces conflits, n’ont jamais répondu à la violence par la violence33. Toute logique de violence s’avère contraire à la logique de Jésus et des siens, à la lumière des textes les plus passionnés, comme le centre du discours de la Cène, soit Jn 15,1-16,334. La communauté johannique n’est pas un conventicule à tendance gnosticisante replié sur lui-même, oublieux du grand souffle universaliste de l’amour des ennemis (Mt 5,4435). L’auteur du quatrième évangile préconise l’amour mutuel sur le fondement de l’amour de Jésus pour les siens comme la seule réponse valable aux tensions qui peuvent conduire à des exclusions réciproques. La double reprise du commandement nouveau de l’amour mutuel survient, de façon significative, au centre du discours de la Cène (Jn 15,12-17) et donc au cœur du testament de Jésus. Ce n’est pas l’indice d’un repli sur soi mais le signe d’un grand réalisme spirituel. Les chrétiens ont continué à fréquenter la synagogue pendant un laps de temps prolongé. On a pu avancer aussi qu’à un moment donné les responsables de l’Église se sont efforcés d’éloigner les chrétiens de la synagogue plutôt que les juifs ne les en ont exclus36.

Selon Jean, là où les comportements respectifs des uns et des autres ont cédé à la violence, là, Jésus et l’évangile furent trahis et reniés. Dès lors, la question posée par Jn 15,1-16,3, en contexte de tension entre la vigne et le monde — sans trace d’un dualisme que l’on prête à tort au corpus johannique37 —, c’est de savoir qui est juif avant de savoir qui est chrétien. Pour reprendre le cœur du message de Jn 13-17, qui coïncide avec celui de l’évangile, du Nouveau Testament relié à l’Ancien, et donc de la Bible dans son ensemble, la question est en somme de savoir qui est élu. « Non pas vous, vous m’avez élu, mais moi, je vous ai élus » (Jn 15,16a). L’élection de tous passe de manière irrévocable par l’élection d’Israël et des juifs au prix de l’incarnation, de la mort et de la résurrection du Verbe en Jésus de Nazareth. Nous retrouvons ainsi le paradoxe d’un « croire » qui transcende l’histoire en la fondant.

La question retentit de nos jours sur l’arrière-fond de la Shoah. La réévaluation historique du quatrième évangile ne peut se faire dans l’ignorance des catastrophes de l’histoire. L’antisémitisme chrétien ne trouve pas ses racines dans l’évangile johannique38, mais dans certaines de ses interprétations tendancieuses qu’il convient de contrôler et de critiquer. Les génocides qui se succèdent39 laissent plutôt le champ libre aux forces polymorphes du mal : le menteur et le père du mensonge (Jn 8,44), le diabolos-« diviseur » (Jn 13,2), homicide dès le commencement (Jn 8,44), le Satanas-« accusateur » (Jn 13,27), le chef du monde (Jn 14,30), le Fils de la Perdition (Jn 17,12), le Mauvais (Jn 17,15).

Conclusion

Réévaluer le caractère historique de l’évangile johannique confronte aux questions fondamentales de l’exégèse du Nouveau Testament. La tâche permet aussi de réévaluer ce qu’il faut entendre par l’histoire, sans la limiter à des approches trop positives, sinon néo-positivistes. L’histoire de Jésus crée l’histoire des croyants. Pour les textes traversés et pour bien d’autres : les voyages de Jésus et ses montées à Jérusalem pour les trois Pâques de sa vie publique, la chronologie de la Passion jusqu’aux traditions sur la résurrection à Jérusalem et en Galilée, le plus théologique des évangiles se révèle le plus proche de la vraisemblance historique.

Sa théologie du croire fait plonger au plus vif de l’expérience humaine historique parce que croire est indispensable pour vivre, ou même parfois seulement survivre, dans l’histoire. Croire constitue la condition du lien social40. Au moment où ce lien apparaît partout fragilisé, l’évangile johannique s’offre dans le monde et dans l’Église comme une référence majeure pour prendre part à l’histoire en cours, chacun selon la lumière qui lui est donnée.

Notes de bas de page

  • 1 Conférence donnée à l’Univ. du Latran, le 24 oct. 2013, au symposium dont les Actes ont été aussitôt publiés dans : B. Estrada, E. Manicardi, A. Puig I Tàrrech (éd.), The Gospels : History and Christology. The Search of Joseph Ratzinger-Benedict XVI ; I Vangeli : Storia e Cristologia. La ricerca di Joseph Ratzinger-Benedetto XVI, vol. 1, Città del Vaticano, Libreria Ed. Vaticana, 2013, « La rivalutazione storica del Quarto Vangelo », p. 199-227. Je remercie Mgr G. A. Scotti, président de la Fondazione Vaticana Joseph Ratzinger-Benedetto XVI, et la Libreria Ed. Vaticana pour leur aimable autorisation de publier l’original français de cette communication.

  • 2 R. Fabris, « Il quarto Vangelo come “fonte” del Gesù storico », dans F. Bianchini, S. Romanello (éd.), Non mi vergogno del Vangelo, potenza di Dio, Festschrift J.-N. Aletti, Analecta Biblica 200, Roma, Pontifical Biblical Institute, Gregorian and Biblical Press, 2012, p. 295-310 ; T. Holmén, S.E. Porter, Handbook for the Study of the Historical Jesus, 4 vol., Leiden-Boston, Brill, 2011 ; P.N. Anderson, F. Just, T. Thatcher (éd.), John, Jesus and History, vol. 1 : Critical Appraisals of Critical Views, vol. 2 : Aspects of Historicity in the Fourth Gospel, Symposium Series 44, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2007, 2009, font le point sur la question et proposent d’utiles pistes de travail. J.-C. Petitfils, Jésus, Paris, Fayard, 2010, valorise le témoignage historique de l’auteur et du texte, sans faire droit à la complexité de la problématique exégétique, mais il apporte de précieuses indications historiques sur Jésus à la lumière de saint Jean.

  • 3 C.S. Keener, « We Beheld His Glory », dans P.N. Anderson…, John, Jesus and History (cité n. 2), vol. 2, p. 15-25.

  • 4 Pour la justification de cette traduction, voir Y. Simoens, Selon Jean, t. 2. Une interprétation, coll. I.É.T. 17, Bruxelles, 20052, p. 41-42.

  • 5 C.S. Keener, « We Beheld His Glory », dans P.N. Anderson…, John, Jesus and History (cité n. 2), vol. 2, p. 25.

  • 6 A. Orbe, Introduction à la théologie des ii e et iii e siècles, coll. Patrimoines. Christianisme, t. 2, Paris, Cerf, 2012, p. 796-810 ; le texte d’Irénée se trouve dans l’Adv. Haer., III, 19, 2, 29s, SC 211, p. 375-377.

  • 7 De l’actualité historique est le titre d’un ouvrage en deux volumes de G. Fessard, qui a fait date : Paris, DDB, 1960.

  • 8 Voir S. Légasse, Naissance du baptême, Lectio Divina 153, Paris, Cerf, 1993.

  • 9 On peut aussi comprendre : « gr Bèthania, hb Bet-’ani, “Maison du pauvre ou Maison d’Ananie” », d’après O. Odelain, R. Séguineau, Dictionnaire des noms propres de la Bible, Paris, Cerf - DDB, 1978, p. 75 : à cette époque, « Jn 1,28. Localisation incertaine ». Je préfère, quant à moi, le sens de : « Maison du pauvre ». « Ainôn près de Salim » où Jean baptisait « parce que des eaux nombreuses il y avait là » (Jn 3,23) correspond à deux lieux différents, localisés en Samarie, près du Jourdain, dans une zone riche en eau, identifiée à’Ain Farah, à 12 km au nord-est de Sichem, selon M.-É. Boismard, suivi par R. Fabris, « Il quarto Vangelo come “fonte” del Gesù storico » (cité n. 2), p. 301, n. 19.

  • 10 J.-C. Petitfils, Jésus (cité n. 2), p. 68-69.

  • 11 Is 54,5 ; 61,10 ; Jr 2,2 ; 11,15 ; 31,22 ; Ez 16 ; 23 ; Os 2,16-22 ; 12,10 ; Am 5,25.

  • 12 M. Appold, « Jesus’Bethsaida Disciples : A Study in Johannine Origins », dans P.N. Anderson…, John, Jesus and History (cité n. 2), vol. 2, p. 27-34. Voir aussi H.-W. Kuhn, « Did Jesus Stay at Bethsaida ? Arguments from Ancient Texts and Archaeology for Bethsaida and et-Tell », dans T. Holmén, S.E. Porter, Handbook for the Study of the Historical Jesus (cité n. 2), vol. 4, p. 2973-3021. L’enquête exégétique et archéologique permet de répondre positivement à la question posée dans la première partie du titre, en identifiant aussi la Bethsaïde du NT avec le lieu des fouilles de et-Tell.

  • 13 Cela ne veut pas encore dire qu’il s’agisse du disciple que Jésus aimait de Jn 13,23 et 21,20. « Une énigme plane sur cet innommé. Un tel blanc dans le texte ne convient-il pas de plus à l’auteur de l’évangile ? » (Y. Simoens, Selon Jean, t. 2, cité n. 4, p. 109-110).

  • 14 C’est l’explication proposée par J.-C. Petitfils pour la rédaction de certaines scènes de la Passion, qui comportent des erreurs grammaticales (Jésus, cité n. 2, p. 507). L’hypothèse rappelle celle du Christ hébreu de C. Tresmontant en 1983.

  • 15 Que le sacrement du baptême chrétien aujourd’hui recoure à l’eau s’explique de deux manières. La première, la plus décisive à la lumière de l’évangile johannique, procède du sang et de l’eau qui sortent du côté transpercé de Jésus en Jn 19,34. La deuxième souligne le rapport étroit entre le baptême d’eau de Jean et le baptême d’Esprit Saint de Jésus. Ils sont si étroitement liés dès Jn 3,5 : « Si quelqu’un ne fut pas engendré d’eau et Esprit, il ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu », qu’eau et Esprit sont maintenus dans la pratique baptismale de l’Église. Parce que le baptême de Jésus est surtout caractérisé par l’Esprit Saint, certains exégètes voient dans l’eau de 3,15 l’ajout d’un rédacteur qui veut harmoniser le texte évangélique avec la pratique baptismale ultérieure.

  • 16 Ex 19,16.

  • 17 J.-C. Petitfils, Jésus (cité n. 2), p. 68-69.

  • 18 Ex 19,8 ; 24,3.7 ; Dt 5,27.

  • 19 « Mon heure n’est-elle pas encore arrivée ? ». Voir A. Vanhoye, « Interrogation johannique et exégèse de Cana », Biblica 55 (1974), p. 157-167.

  • 20 Jn 7,30 ; 8,20.

  • 21 Cette implication mettra du temps à se formuler dans la Tradition.

  • 22 Gn 1,26-27.

  • 23 lxx Gn 2,21-22 : l’énigme de la « côte » d’Adam est déjà décodée dans le grec des lxx par sa « plèvre »-??????.

  • 24 Du point de vue de la logique symbolique, le détail a son importance. L’eau de la plèvre percée n’évoque-t-elle pas « la perte des eaux » amniotiques ? Dans le Christ, les pôles masculin et féminin de l’humain sont assumés et accomplis ; ils ne sont ni supprimés ni détruits.

  • 25 « L’autre Écriture » de Za 12,10 citée en Jn 19,37 selon 4QXII, d’après la thèse de Wm. R. Bynum, The Fourth Gospel and the Scriptures. Illuminating the Form and the Meaning of Scriptural Citation in John 19 :37, NTS 144, Leiden - Boston, Brill, 2012. Celui-ci soutient l’historicité de l’événement du côté transpercé en argumentant à partir de la critique textuelle.

  • 26 Jn 9,22 ; 12,42 ; 16,2.

  • 27 J.L. Martyn, History and Theology in the Fourth Gospel, New Testament Library, Louisville, Westminster John Knox, 20033. La première édition date de New York, 1968.

  • 28 Indépendamment et même à distance délibérée de cette hypothèse, selon J.-C. Petitfils, l’évangile : vers 65, date de la mort de Pierre peut-être après 70 ; 96 : Apocalypse ; vers 100 : les épîtres ; 101 : mort de Jean, sous Trajan, âgé d’environ quatre-vingt-dix ans (Jésus, cité n. 2, p. 532-534, notes p. 626-627).

  • 29 E.W. Klink III « The Overrealized Expulsion in the Gospel of John », dans P.N. Anderson…, John, Jesus and History (cité n. 2), vol. 2, p. 175-184.

  • 30 En fait il s’agit d’une malédiction : « Que pour les apostats il n’y ait pas d’espérance, et le royaume d’orgueil, promptement déracine-le en nos jours, et les Nazaréens et hérétiques, qu’en un instant ils périssent, qu’ils soient effacés du livre des vivants et qu’avec les justes ils ne soient pas écrits ! Béni sois-tu, Adonaï, qui ploies les orgueilleux ! » (Y. Simoens, « L’Évangile selon Jean et les Juifs. Un paradigme d’interprétation en dialogue », dans D. Meyer, Y. Simoens, S. Bencheikh, Les Versets douloureux. Bible, Évangile et Coran entre conflit et dialogue, L’Autre et les autres 9, Bruxelles, Lessius, 2007, p. 63-116, ici p. 95).

  • 31 La datation est reculée au fil des publications. iii e ou iv e siècle dans : « Justin Martyr invents Judaism », Church History 70 (2001), p. 427-461 ; vi e siècle dans La partition du judaïsme et du christianisme, coll. Patrimoines. Judaïsme, Paris, Cerf, 2011. L’original : Border Lines, date de 2004.

  • 32 L’aphorisme remonte à Wayne A. Meeks. Il sert de fer de lance à l’argumentation de R. Sheridan, Retelling Scripture. ‘The Jews’ and the Scriptural Citations in John 1:19-12:15, Biblical Interpretation Series 110, Leiden - Boston, Brill, 2012, selon laquelle le traitement des juifs dans saint Jean distille du vitriol (p. 243), en fournissant à la limite les prodromes de la Shoah. Je ne puis suivre cette argumentation par ailleurs érudite et très fouillée.

  • 33 Simon Légasse parle de « gauchissement des faits » par les récits de la Passion destinés à dégager les chrétiens et Jésus de quelque opposition à l’Empire que ce soit (S. Légasse, P.J. Tomson, Qui a tué Jésus ?, suivi de Un livre et deux communautés par P. Beauchamp, Lire la Bible, Paris, Cerf, 2004, p. 20). « Le terrible cri répété à plusieurs reprises, “crucifie-le”, est une regrettable dramatisation créée par les communautés chrétiennes contre les Juifs de la synagogue. Les chrétiens des premiers temps se sentaient menacés et ils ont essayé, par une invention assez naïve, de se protéger face au pouvoir des autorités juives. Mais quand l’Empire romain a embrassé le christianisme, ces récits fantaisistes et faux ont alimenté contre le peuple juif la terrible accusation de “déicide” ; ce fut une arme mortelle qui a engendré l’antisémitisme et abouti aux persécutions et au génocide » (J.A. Pagola, Jésus. Approche historique, Lire la Bible, Paris, Cerf, 2012, p. 401, n. 1). Que le texte des évangiles ait pu prêter à des interprétations tendancieuses ne fait aucun doute. Je cherche pour ma part à les éviter en sauvegardant la crédibilité des témoignages évangéliques du fait que les disciples ne se disculpent jamais de leur incrédulité persistante, surtout chez Marc et Jean, jusqu’en contexte de résurrection, et que Jésus leur défend formellement de répondre au mal par le mal, ce qu’il n’a jamais fait lui-même. Invectives ou vitupérations n’ont pas pour but d’offenser mais de déstabiliser une assurance trop inébranlable.

  • 34 Y. Simoens, La gloire d’aimer. Structures stylistiques et interprétatives dans le Discours de la Cène (Jn 13-17), AnBib 90, Rome, Pontifical Institute Press, 1981, sp. p. 58-61 ; ch. V, p. 130-150.

  • 35 D’après l’interprétation d’E. Käsemann, Jesu letzter Wille nach Joh 17, Tübingen, 1971.

  • 36 R. Kimelman, « Birkat Ha-Minim and the Lack of Evidence for an Anti-Christian Jewish Prayer in Late Antiquity », dans E.P. Sanders et al. (éd.), Jewish and Christian Self-Definition, vol. 2, London, SCM, 1981, p. 226-244, ici p. 239, cité par E. Klink, « The Overrealized Expulsion » (cité n. 29), p. 179. Une conférence à Bruxelles du rabbin David Meyer : « La responsabilité de la liturgie juive dans le dialogue », reprend cette problématique de « la bénédiction contre les hérétiques » selon ses différentes recensions dans le traité du Talmud Berakhot 29a, de la Gueniza du Caire, du Siddur Rav Amram Gaon (Babylonie ; vers l’an 1000), du Mahzor Vitry utilisé par Rashi au xi e siècle, du Siddur Harambam utilisé par Maïmonide au xii e siècle (Espagne, Égypte), du Siddur ashkénaze traditionnel et de quelques livres de prière issus de la tradition réformée et libérale. La conclusion de l’enquête est la suivante : « Tout se passe en fait comme si la problématique liée à la formulation de ce texte et telle que nous la percevons aujourd’hui à la lumière de notre expérience contemporaine du dialogue judéo-chrétien n’avait pas véritablement affecté la réflexion juive et rabbinique sur cette prière » (Actes du Colloque : Juifs et Chrétiens, Engageons-nous ! « Les 12 points de Berlin », Bruxelles, le 11 nov. 2010, Bruxelles, Communauté des Sœurs de Notre-Dame de Sion, p. 14). Ce texte ne reste-t-il pas pourtant une pierre d’achoppement ? La problématique exégétique évoquée le montre à loisir. La prière catholique pour les juifs perfides, le Vendredi Saint, en constituait une aussi. Elle fut supprimée.

  • 37 Voir Y. Simoens, « Saint Jean à l’Institut Biblique. Rétrospective et prospective », dans J.N. Aletti, J.-L. Ska (éd.), Biblical Exegese in Progress. Old and New Testament Essays, Analecta Biblica 176, Roma, Editrice Pontificio Istituto Biblico, 2009, p. 425-468, spécialement : « Dualisme johannique ? », p. 446-456 ; « La questione del dualismo giovanneo », conférence tenue dans le cadre d’un séminaire pour anciens élèves de l’Institut Biblique et universitaires intéressés, à l’Institut, Rome, le 22 janv. 2013.

  • 38 « Dans les limites du v. 23 (de Jn 15), haïr Jésus, c’est haïr son Père, mais sans aucun préjudice à l’amour de Jésus et du Père pour qui n’aime pas. Les deux principes valent absolument et ne permettent, dans le cours de l’histoire, d’accorder plus de crédit, entre la Synagogue et l’Église, le chrétien et le juif, qu’à celui qui aime davantage » (Y. Simoens, La gloire d’aimer, cité n. 34, p. 150).

  • 39 Le Congo Kinshasa d’avant et d’après l’indépendance (30 juin 1960) n’est pas exempt de comportements racistes de la part du colonisateur belge, non moins que du côté de représentants de la population autochtone. Mais le génocide rwandais, de juin à août 1994, est le plus grand désastre dont il faille tenir compte et dont l’Église locale ne sort pas indemne : un million soixante-quatorze mille morts de Tutsis en cent jours. Record absolu du nombre de victimes en un minimum de temps ! Voir P. de Saint-Exupéry, L’inavouable. La France au Rwanda, Paris, éd. des Arènes, 2004 ; L. de Vulpian, Rwanda, un génocide oublié ?, Paris, éd. Complexe, 2004 ; Id., T. Prungnaud, Silence Turquoise. Rwanda, 1992-1994. Responsabilité de l’État français dans le génocide des Tutsi, Don Quichotte éd. (Seuil), 2012.

  • 40 C’est l’objet formel de l’étude qui conclut mon parcours du cycle johannique : Y. Simoens, Croire pour aimer. Les trois lettres de Jean, Paris, éd. Facultés jésuites de Paris, 2011.

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