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Blessing the relationship between two people of the same sex?

Dimitri Ourano
Starting from the consideration of the symbolic dimension of the sacramental order and its implications in the sacramental that is the gesture of blessing in the Christian tradition, especially on the occasion of marriage, we explore the appropriateness of blessing the relationship between two persons of the same sex.

La possibilité de bénir la relation entre deux personnes de même sexe est une question délicate comme tout ce qui concerne les personnes homosexuelles, leur statut ecclésial, l’accès aux sacrements, et la relation sociale entre des personnes dont la sexualité est inhabituelle. En raison des sensibilités à la fois sociétales et ecclésiales, les prises de position sont souvent mal reçues, mal interprétées. Si, en plus, on rappelle ou on détermine une loi, les arguments ou la rationalité de cette loi ne sont plus entendus à cause de l’émotionnel touché, car toute loi est devenue dans nos cultures source de frustration. On est alors confronté à des formes d’agressivité qui envahissent le langage et les réflexions. Il est aujourd’hui difficile de parler ou d’écrire sans être clivant ou sans être mis dans un camp. Ces réactions affectives sont fortes et liées le plus souvent à une souffrance qu’il faut reconnaître, qui peut être aussi liée à une hypersensibilité de ceux et de celles que la sexualité humaine trouble, fascine, dérange, blesse… qu’il ne faut certainement pas mépriser mais qu’il faut respecter et accompagner1.

Le Responsum de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à un dubium au sujet de la bénédiction des unions de personnes du même sexe publié le 22 février 2021 a fait l’effet d’une bombe tant par son contenu que par sa publication imprévue et considérée comme inopportune par beaucoup. Les passions et les prises de position n’ont pas manqué. Or ce texte n’apporte pas d’éléments doctrinaux nouveaux sur le mariage et l’union de personnes homosexuelles. Après un bref rappel doctrinal, il affirme qu’il n’est pas juste ni licite de bénir les unions de personnes homosexuelles dans l’Église catholique et qu’il convient de ne pas encourager ce genre de pratique pastorale. Dans ce document, un rappel doctrinal est légèrement développé pour rendre raison de la licéité ou non de certains actes. Le caractère illicite d’une telle bénédiction s’inscrit donc dans l’ordre moral, mais le lien avec le sacrement de mariage est explicite.

Pour cette raison, il n’est pas licite de donner une bénédiction aux relations ou partenariats, même stables, qui impliquent une pratique sexuelle hors mariage (c’est-à-dire hors de l’union indissoluble d’un homme et d’une femme ouverte en soi à la transmission de la vie), comme c’est le cas des unions entre personnes du même sexe. La présence dans ces relations d’éléments positifs, qui en eux-mêmes doivent être appréciés et valorisés, n’est cependant pas de nature à les justifier et à les rendre ainsi légitimement susceptibles d’une bénédiction ecclésiale, puisque ces éléments se trouvent au service d’une union non ordonnée au dessein du Créateur2.

Ce responsum n’interdit pas la bénédiction d’une personne homosexuelle qui appartient à l’Église par son baptême. Cette distinction est capitale. Dans les réactions suscitées par le responsum, elle n’est souvent pas comprise.

La réponse à la proposition de dubium n’exclut pas l’octroi de bénédictions individuelles aux personnes à tendance homosexuelle qui manifestent le désir de vivre en fidélité aux desseins révélés de Dieu, comme le propose l’enseignement de l’Église, mais elle déclare illicite toute forme de bénédiction qui tend à reconnaître leurs unions3.

Plusieurs auteurs se sont attachés à remettre en lumière plus amplement la vérité doctrinale qui se trouve à la racine d’une telle décision. Il est vrai que la relation entre des personnes homosexuelles ne peut pas être comparée à celle qui unit un homme et une femme mariés civilement et sacramentellement. Dans certains courants de pensée, le désir de comparer et d’égaler par un même statut – celui du mariage – ces deux relations est fort et se développe au nom de la miséricorde ou de l’égale dignité personnelle des deux types de conjoints. Pourtant, l’union entre des personnes homosexuelles n’est ni un mariage naturel ni sacramentel, même si certaines législations lui accordent un statut partenarial et matrimonial. La doctrine ecclésiale commune maintient une nette distinction entre la relation homosexuelle et la relation hétérosexuelle formant, dans le consentement, la matière du sacrement de mariage. Elle ne considère pas cette union homosexuelle comme identique, ne fût-ce que parce que l’alliance sponsale dans l’histoire du salut (depuis la Genèse jusqu’au livre du Cantique des Cantiques et à la défense du mariage par Jésus en Mt 19) revêt toujours la forme d’une alliance homme-femme et parce que la relation homosexuelle ne peut pas viser naturellement la procréation et l’éducation des enfants sans passer par des modes de procréation artificielle, par l’adoption ou comme « famille d’accueil ».

Affectivement et ecclésialement, ce qui semble le plus blessant, injuste et erroné, pour de nombreux fidèles et évêques, est de refuser de bénir ce nouveau type de relation (même en privé), et donc de poser ainsi un jugement de mépris ou de refuser à la bénédiction divine d’aller jusqu’au bout d’elle-même. Est-ce vraiment injuste et méprisant ? Oui, pensent certains, car Dieu n’est-il pas à la fois le Créateur et le Sauveur de tous ses enfants ? Ne veille-t-il pas aussi sur les relations homosexuelles ? Celles-ci ne peuvent-elles pas être intégrées dans la puissance de son amour Créateur et Sauveur ?

Peut-être une réflexion plus ample et plus précise sur ce que sont les bénédictions pourrait-elle guider la pratique pastorale dans cette situation nouvelle.

I Simples propos sur la bénédiction

Si l’on se réfère à l’étymologie, bene-dicere, bénir, signifie « dire bien » ou dire « du bien » d’un autre ou d’un objet. Ainsi la forme et le contenu sont-ils concernés : le langage utilisé, le ton de la voix, la ritualité doivent « inspirer », « élever », « sanctifier » les personnes, et le contenu de la bénédiction est susceptible d’être bienfaisant, joyeux, positif. La bénédiction est une manière de dire du bien d’autrui, de le fortifier, de le protéger, de lui souhaiter d’avancer dans l’amour, les responsabilités, les missions, les travaux. Les paroles de bénédiction encouragent, fortifient, donnent des significations à des activités et un sens spirituel à la vie ordinaire ou à des décisions. Le plus souvent, en régime chrétien, la bénédiction accompagne un sacrement, le prépare ou bien le confirme. Elle s’inscrit dans une liturgie simple sauf si les fêtes sont solennelles. Les bénédictions appartiennent au genre des sacramentaux. Le lien entre le sacramental et le sacrement est important : on pourrait dire que le sacramental est ordonné au sacrement4. Il convient de garder en mémoire cette articulation qui permet au chrétien de « voir toutes choses en Dieu », et de « trouver Dieu en toutes choses ». Toute la création est concernée par la bénédiction et la bénédiction dans le Christ atteste le salut présent dans nos vies.

Notons également combien la bénédiction vise d’abord Dieu : elle est une louange, une action de grâce, une reconnaissance de sa présence et de son action dans l’univers. C’est de Dieu que viennent toutes les bénédictions et c’est à Lui qu’il faut les rapporter en premier lieu, car il est le Créateur et le Sauveur. En se regardant en vérité, l’homme peut s’exclamer : « je te bénis, Dieu créateur, pour la merveille que je suis » (Ps 139,14).

La source et l’origine de toute bénédiction est Dieu, béni au-dessus de tout, le seul bon qui a bien fait toute chose, lui qui veut que toutes ses créatures soient comblées de ses bénédictions, et qui a maintenu ces bénédictions, même après la faute de l’homme, en signe de sa miséricorde5.

En fait, l’économie sacramentelle est traversée de bénédictions qui disent l’amour de Dieu et de l’Église pour tous les baptisés et pour toute l’humanité. Cette condition chrétienne est en continuité avec les prières personnelles et liturgiques de la tradition juive dans laquelle le rythme de la prière et son contenu sont marqués profondément par les berakot. Elles sont plus qu’un genre littéraire, car elles mettent en œuvre une vérité théologale : Dieu bénit sa création en tout temps et en tout lieu. Il invite ses créatures à faire de même. C’est peut-être le lieu de rappeler l’existence et le sens profond de la loi de gradualité qui s’applique le plus souvent à travers des étapes et des bénédictions variées. Les lois ne peuvent parfois apparaître comme des bénédictions qu’à travers le temps qui passe et la prise de conscience progressive de leur bienfait pour l’homme qui reste béni par Dieu depuis le premier instant de son existence terrestre jusqu’à la fin de sa vie. Les aléas de la vie et certains carrefours décisionnels sont marqués par des limites et des lois dont on ne perçoit pas toujours à l’instant le caractère bienfaisant. Dans la situation que nous discutons, il convient de ne pas oublier cette loi spirituelle qu’est la loi de gradualité. Elle nous indique que tout chrétien pastoralement est à accueillir tel qu’il est, en sachant qu’un bien est toujours possible et que l’Église-sacrement, par le respect et l’observance des conditions spécifiques de la préparation ou de la réception de tel ou tel sacrement, n’exclut personne.

La vie chrétienne, marquée du mystère pascal, est, elle aussi, pleine d’une consolation offerte par l’Esprit de différentes manières. La bénédiction rythme cette vie et ranime le sens de nos vies personnelles tout entières tournées vers le Seigneur et vers la fin pour laquelle nous sommes créés : « louer, respecter, et servir Dieu Notre Seigneur » (ES°21).

En glorifiant Dieu en toute chose et en recherchant avant tout la manifestation de la gloire de Dieu envers les hommes, renés ou à renaître par grâce, l’Église, par ses bénédictions, loue le Seigneur pour eux et avec eux dans les circonstances particulières de leur vie et invoque sur eux la grâce de Dieu. En même temps, l’Église bénit aussi les objets et les lieux qui concernent soit l’activité humaine, soit la vie liturgique, la piété et la dévotion, en ayant cependant toujours sous les yeux les hommes qui se servent de ces objets et qui travaillent dans ces lieux. Car c’est l’homme, pour qui Dieu a voulu et fait tout ce qui existe et qui est bon, c’est l’homme qui est le réceptacle de sa sagesse et qui reconnaît, par les rites de bénédiction, qu’il use des créatures de manière à chercher, aimer Dieu et à le servir fidèlement lui seul6.

Tous les sacrements témoignent de l’importance de la bénédiction, particulièrement celui du mariage. Le rituel de ce sacrement est une litanie de bénédictions, une répétition de berakot qui concernent le passé, le présent et l’avenir des nouveaux époux. Si l’on étudie avec plus de précision le contenu de ces bénédictions, elles disent quelque chose de cette alliance homme-femme, de son symbolisme naturel, de son avenir et de sa mission dans l’Église, de ses propriétés spécifiques, de la relation entre le Christ et son Église qui l’imprègne.

Par ailleurs, le Livre des bénédictions nous indique la variété des bénédictions possibles, depuis celles qui sont destinées aux personnes (familles, malades, catéchistes…) jusqu’à celles qui visent les activités humaines (nouvelle maison, bibliothèque, hôpital, locaux sportifs, animaux, champs et puits…) en passant par les objets pour le culte (fontaine baptismale, mobilier liturgique, chemin de croix, tombes…) et les objets de dévotion (chapelets, scapulaires, sources…). La bénédiction des objets est reliée aux personnes qui en useront et à la droite intention qui les guide. Une bonne partie du créé et du réel travaillé par l’humain est à considérer comme un bienfait de Dieu, et mérite qu’on Lui rende grâce. Il convient que les hommes puissent assurer la garde de la création à bon escient, pour Sa gloire et pour le service des frères et sœurs en humanité.

Dans le concret de la vie, tout n’est pas source de bénédiction : il est possible de prier pour échapper à une catastrophe, mais il est absurde de bénir celle-ci ou une épidémie, une invasion de sauterelles, un tremblement de terre, une éruption volcanique ou un duel armé… Certaines matières, certains objets ou événements ne sont pas susceptibles d’être bénis car ils ne correspondent certainement pas à un désir manifeste de Dieu. La bénédiction ne vise jamais un mal naturel. Si elle fait allusion à un mal moral, c’est pour en être protégé et préservé. La bénédiction ouvre à la vérité de nos actions ordinaires et des grâces reçues ou à recevoir. C’est ce que souligne le Responsum :

Par conséquent, pour être cohérent avec la nature des sacramentaux, lorsqu’une bénédiction est invoquée sur certaines relations humaines, il est nécessaire – outre l’intention droite de ceux qui y participent – que ce qui est béni soit objectivement et positivement ordonné à recevoir et à exprimer la grâce, en fonction des desseins de Dieu inscrits dans la Création et pleinement révélés par le Christ Seigneur. Seules les réalités qui sont en elles-mêmes ordonnées à servir ces plans sont donc compatibles avec l’essence de la bénédiction donnée par l’Église7.

Dans l’univers des sacramentaux, la bénédiction varie selon la matière concernée, les personnes qui l’ont désirée, les intentions énoncées qui peuvent d’ailleurs être multiples et parfois contradictoires. Ainsi les bénédictions ont-elles une portée variable tout en ayant une unique fonction symbolique de manifester la bonté divine. Cependant, elles ne font jamais abstraction de la liberté des personnes qui les demandent ou les reçoivent, ni totalement de leurs intentions.Rappelons encore que la bénédiction n’est pas réservée uniquement à une fonction ou à un état de vie. Elle peut être offerte par tout baptisé à un autre : sa symbolique dépend de celui ou de celle qui bénit : tel un parent qui bénit ses enfants avant d’aller dormir ou un prêtre qui bénit un malade qui va être opéré. Chaque bénédiction atteste la bonté du sujet qui bénit et une présence particulière de Dieu dans ce témoignage de bonté. C’est parce que Dieu est bon, que nous sommes appelés à lui rendre grâce et à donner des signes concrets de sa bonté autour de nous.

Il convient aussi de considérer comment celui-là même qui bénit articule sa bénédiction avec les personnes : des parents et leurs enfants, des familiers et leurs malades, des époux entre eux. Le lien avec l’Écriture sainte, avec la présence divine dans la création et dans la bénédiction, et les intentions profondes de ceux et celles qui désirent cette bienveillance, sont aussi à considérer ou à purifier. Dans la pratique cependant, on bénit le plus souvent sans connaître toutes les intentions de ceux et de celles qui demandent telle bénédiction, même si, particulièrement dans les sanctuaires, les chrétiens expriment leur intention principale dans leur demande (pour bénir un chapelet, une icône, un cadeau catéchétique).

Ce rappel de quelques accents propres à la bénédiction répond à ce que le concile Vatican ii en exprime :

La liturgie des sacrements et des sacramentaux a cet effet que, chez les fidèles bien disposés, presque tous les événements de la vie sont sanctifiés, par la grâce divine qui découle du mystère pascal de la Passion, de la mort et de la résurrection du Christ ; car c’est de lui que tous les sacrements et sacramentaux tirent leur vertu ; et il n’est à peu près aucun usage honorable des choses matérielles qui ne puisse être dirigé vers cette fin : la sanctification de l’homme et la louange de Dieu.

(Sacrosanctum Concilium 61)

II Comment bénir et que bénir dans la relation homosexuelle ?

Après avoir rappelé la consolation spirituelle que porte en elle toute bénédiction, il convient de voir comment elle pourrait être offerte aux personnes homosexuelles qui désirent mettre leur chemin spirituel et leur union sous le regard de Dieu.

Une indication évidente est de comprendre le « pourquoi » de cette bénédiction afin d’éviter toute confusion de situations, particulièrement avec les bénédictions de mariage et des autres sacrements, et de trouver le mode le plus approprié de les bénir personnellement, dans la discrétion et l’humilité, en respectant la singularité des personnes : un mode qui soit adapté à chacun dans sa singularité de baptisé, à son mode de vie, à ses aspirations religieuses et à la conscience que ces personnes ont de la portée d’une bénédiction. Car tout baptisé homosexuel est aimé de Dieu et appelé dans son chemin à faire grandir son lien immédiat avec le Seigneur. Une bénédiction personnelle est adéquate pour l’encourager sur ce chemin.

Dans ce domaine, ce qui devrait servir de repères, ce sont la discreta caritas, la fécondité et la cohérence des symboles. Si l’on poursuit uniquement un repère moral, nous risquons de nous retrouver dans une impasse. Il est clair qu’il convient parfois de déterminer la « licéité » ou non de telle ou telle action liturgique ou pastorale, mais cela ne suffit pas. Le sens moral vrai doit toujours être relié explicitement ou non avec la signification profonde de la Parole de Dieu, ce qu’on appelle les sens allégorique et anagogique de cette Parole. Autrement dit, c’est dans la connaissance du donné de foi et de la vérité sacramentelle et dans la signification de nos gestes en lien avec l’éternité que l’on saisit avec justesse le poids moral de nos actes. La loi n’est ni le dernier ni le premier mot de la morale. Sinon, faute de s’accorder sur ce qui est universel, général ou particulier, comment sortir d’une contradiction de type normatif sans être dans une morale de situations, un laxisme ou une rigidité ? Nous retrouvons souvent de telles impasses dans les débats sur ces questions.

Ainsi la recherche d’une forme de bénédiction du lien homosexuel est-elle vouée à l’échec si l’on considère que ce lien est plus ou moins comparable au lien conjugal. Il n’est pas juste de penser ainsi comme il n’est pas juste de penser, pour d’autres types de relations humaines, que la filiation est identique au cousinage ou à la paternité. Ce n’est donc pas d’abord une question de loi ou de droit, mais une question de signification, de symbolisation, de cohérence sacramentelle. Sans nier que le lien homosexuel entre deux personnes puisse être source de fidélité, de charité, de témoignage d’un souci de l’autre, si nous cherchons à en rendre compte par une comparaison ou une analogie avec le lien nuptial, nous faisons fausse route8. C’est une des raisons pour laquelle il n’est pas juste de bénir une relation homosexuelle comme lien ou de vouloir la bénir sous les « apparences » d’une bénédiction matrimoniale. Le monde symbolique n’a pas la même cohérence que celle qui est mise en évidence par un concept ou une formulation de raison, mais il a sa cohérence. Il n’est ni irrationnel ni chaotique.

La réponse à la proposition de dubium n’exclut pas l’octroi de bénédictions individuelles aux personnes à tendance homosexuelle qui manifestent le désir de vivre en fidélité aux desseins révélés de Dieu, comme le propose l’enseignement de l’Église, mais elle déclare illicite toute forme de bénédiction qui tend à reconnaître leurs unions. Dans ce cas, en effet, la bénédiction manifesterait l’intention non pas de confier à la protection et à l’aide de Dieu certaines personnes individuelles, dans le sens mentionné ci-dessus, mais d’approuver et d’encourager un choix et une pratique de vie qui ne peuvent être reconnus comme étant objectivement ordonnés aux desseins révélés de Dieu9.

Redisons-le : le responsum ne dit pas qu’il ne faut pas bénir les personnes homosexuelles comme on est amené à le faire pour tout baptisé dans diverses circonstances de la vie ordinaire, mais qu’il convient de ne pas bénir leur union, leurs éventuelles paroles de consentement ou même leurs promesses mutuelles dites avec affection, car cette bénédiction n’a pas de sens et parce que le fait de bénir leur union conduit à l’ambiguïté sur leur lien et sur la différence de leur relation avec le lien conjugal. Il convient de ne pas uniformiser les relations, de ne pas fusionner deux types de liens différents, d’éviter l’ambigüité avec le lien conjugal, et de les convier à vivre leur grâce baptismale dans la vérité.

III Le sens des gestes posés

Plus que les motivations morales qui sont réelles mais peuvent former le fond d’un débat sans fin entre des courants de morale fondamentale différents (morale des actes, morale de situations, option fondamentale, morale du bonheur), nous voudrions souligner la question du sens des gestes posés. Les gestes de bénédictions sont des sacramentaux : ils mènent à un sacrement ou bien ils l’accompagnent et en sont une confirmation visible et incarnée. Ces gestes ne sont pas à faire pour satisfaire simplement la subjectivité ou le désir le plus sincère des fidèles mais pour rendre plus sensible la vérité d’une présence divine ou d’un mystère de la foi. Les sacramentaux sont offerts pour aider la foi à s’affermir dans tel ou tel domaine et la rendre visible dans un sacrement.

Ainsi, bénir l’eau dans le baptistère, c’est montrer que dans cette eau l’homme prend vie et passe toute mort en « plongeant dans le corps du Christ, mort et ressuscité ». L’eau symbolise dans le chemin baptismal à la fois un « milieu » dangereux dont le Christ nous sauve et une présence spirituelle. L’eau purifie, mais elle sanctifie aussi : elle dit comment le baptisé renaît de l’Esprit de Jésus. Cette eau est « vive » car elle donne la vie : elle dit la présence de l’Esprit sanctificateur. Elle signifie à la fois l’action de l’Esprit et la condition maternelle et ecclésiale du nouveau baptisé qui naît du sein virginal qu’est l’Église. Le même symbole est chargé de multiples significations qui « consonnent » entre elles et manifestent le Mysterium du baptême. Utiliser du vin ou du coca-cola pour baptiser nous fait sortir, non seulement d’une efficacité sacramentelle, mais aussi d’une cohérence symbolique et ne peut avoir qu’une signification anecdotique ou folklorique. Ce n’est pas une question de normes. C’est une question de cohérence de significations.

Dans d’autres situations de la vie pastorale, on peut chercher un autre symbole ou une nouvelle adaptation symbolique. Selon le choix posé, il apparaît souvent que ce nouveau symbole ne produit pas la signification désirée et n’aide pas à la vraie compréhension du sacrement qu’il accompagne. Par ailleurs, un même symbole peut également être offert pour des situations différentes : souvent dans ce cas, le geste ou le sacramental est posé, mais il n’est pas porté par une réalité adéquate et il ne signifie rien pour telle ou telle situation, pour telle ou telle personne (par définition, se marier au théâtre ou au cinéma). L’adéquation du symbole à la situation rencontrée est nécessaire pour que le symbole « fasse sens ». Ainsi la bénédiction nuptiale de l’union des deux personnes homosexuelles pourrait être donnée en s’inspirant de celle qui est donnée pour le sacrement de mariage, mais elle resterait symboliquement inadéquate à leur union. Cette bénédiction, tant dans sa forme que dans son contenu, ne peut pas leur convenir comme une des six bénédictions nuptiales prévues dans le rituel du mariage. Autant qu’ils se bénissent eux-mêmes pour signifier leur amour mutuel !

Une autre bénédiction commune pour ce type de situation, même dans une forme et un contenu adapté, ne peut pas non plus rencontrer la vérité d’une relation qui n’est ni conjugale ni matrimoniale. Bénir une personne est toujours possible. Bénir une relation qui est autre que conjugale n’a pas de cohérence. C’est dans cette inadéquation et dans l’incompréhension d’une bénédiction nuptiale pour ce type d’union, que se trouve aussi l’interdit posé par le Responsum : ce type de bénédiction ne relève pas d’abord du « permis/défendu », mais d’une cohérence symbolique10. Elle n’est pas comparable à la relation sponsale. D’autres gestes et attitudes de bonté sont à chercher pour dire le lien immédiat que chaque baptisé a avec son Dieu.

Conclusion

Nous espérons avoir pu rendre compte de la vérité du Responsum et commenter son énoncé. Cette position théologique nous semble juste malgré son tranchant, l’incompréhension ou la souffrance qu’elle peut causer. D’autres langages et interprétations ecclésiales pourraient être utilisés pour mieux manifester à la fois l’inadéquation d’une bénédiction semblable pour des conjoints homosexuels et hétérosexuels et l’attention pastorale pour tous les baptisés. Nous avons accentué délibérément la réflexion non pas sur le caractère illicite ou autorisé de certains gestes, mais sur la nécessité d’une cohérence de certaines qualités symboliques qui appartiennent à tout sacrement et à tout sacramental. Nous voulions ainsi insister non pas sur les aspects subjectifs et sensibles des bénédictions, mais sur la nécessaire cohérence « sensible et rationnelle » de tout geste et de toute parole sacramentale. Car le sacramental est pédagogiquement finalisé par le sacrement. Ces gestes symboliques ont aussi leur poids dans l’histoire du salut et une « rationalité » spécifique. Nous rappelons aussi combien grande est la bonté divine qui se dit de plusieurs manières dans le monde créé et sauvé en Christ. Dieu se dit et agit par ses sacrements mais aussi par d’autres moyens qui touchent le cœur de tout homme.

Ces quelques lignes ne s’opposent pas à l’énoncé de normes claires et précises dans la vie de l’Église, particulièrement dans sa pratique sacramentelle, mais tentent de rappeler que ce n’est pas la loi qui est le premier pas de la morale catholique, mais bien la grâce. La loi est une grâce, mais on ne l’entend pas toujours ainsi : le chrétien peut ressentir qu’elle n’est pas féconde pour lui dans le « hic et nunc » de sa vie. Et pour pressentir que la loi est une grâce, il faut parfois tout un chemin… et le temps d’une vie. Cette « loi de gradualité » est une loi anthropologique et spirituelle. Ainsi bénir telle personne (non pas la relation) ou telle autre ouvre toujours un avenir, stimule un processus, engage sur un chemin de sainteté, assure à la personne homosexuelle qu’elle reste sous le regard d’un Dieu qui attend son amour. Ainsi la réception de toute loi prend-elle du temps : ce temps n’est pas perdu. Il est déjà gracié et est un chemin de sainteté. Il est une miséricorde pour approfondir le mystère de l’homme et de la femme créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Toute relation, même disparate, est inscrite dans le temps et accueille la lumière du Sauveur. Ainsi la véritable bénédiction personnelle est-elle toujours le temps reçu pour vivre la loi en paix. Le temps est une miséricorde pour nous aider à mieux vivre en Dieu et à nous préparer pour l’éternité « où tout ensemble ne fait qu’un » (Ps 121 [122],3). Le caractère licite ou pas de certains actes peut ne pas toucher directement la conscience personnelle. Cette situation fréquente devrait nous pousser à énoncer les lois dans leur lien avec l’ensemble du mystère de la Révélation. Un travail pastoral et pédagogique est à faire pour que le rite et le symbole ne se perdent pas dans l’émotionnel.

Le sens moral est souvent précédé d’une catéchèse ou d’un enseignement qui éclaire le plan de Dieu dans l’histoire humaine. Ce sens moral n’est jamais délié des significations objectives et symboliques de l’économie sacramentelle. C’est par cette économie et pour cette économie sacramentelle que tout acte bon dit que Dieu est bon. Et cette bonté de Dieu, qui se dit particulièrement dans sa bénédiction originelle (Gn 1,28), se diffracte en de multiples bénédictions. Cette polyphonie de bénédictions devrait envelopper le corps de l’Église et se développer en son sein. Il y a de nombreuses manières pour dire que Dieu nous aime : n’ayons crainte de les exprimer. Bénir un baptisé en priant pour « que Dieu prenne soin de lui et l’aide à aimer les autres en vérité » ; « que Dieu soit présent dans tout acte bon et généreux qu’il pose en famille et en société » ; en demandant « que Dieu accorde sa grâce de sainteté dans les limites de sa vie et les expressions libres de son affectivité » ; « que Dieu fortifie ses élans vers plus de vérité et de charité » ; « que Dieu assume toutes ses blessures et ses désirs d’être à son image » ; « que Dieu soit son secours dans la faiblesse et dans ses désirs sincères d’accomplir sa loi »… Toutes ces bénédictions personnelles ne peuvent que rejaillir sur le corps ecclésial tel qu’il est. Nombreuses et multiples pour tous sont les bénédictions que des chrétiens et des prêtres peuvent s’offrir mutuellement en vérité sans plonger dans l’ambiguïté d’une bénédiction sacramentelle et conjugale. Telle est notre espérance.

Notes de bas de page

  • 1 C. Cossement, « Reconnaître dans l’Église des liaisons homosexuelles : un discernement possible ? », NRT 137 (2015), p. 439-450 ; F. Gonon, B. de Malherbe, M.-L. Calmeyn, « À propos d’un Responsum au sujet de la bénédiction des unions de personnes du même sexe », NRT 143 (2021), p. 355-363.

  • 2 Responsum de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à un dubium au sujet de la bénédiction des unions de personnes du même sexe.

  • 3 Ibid.

  • 4 Il existe une différence entre sacramental et sacrement : « les sacramentaux ne confèrent pas la grâce de l’Esprit saint à la manière des sacrements, mais par la prière de l’Église ils préparent à recevoir la grâce et disposent à y coopérer » (CÉC 1670). Les signes sacramentaux accompagnent la vie chrétienne. Ils mettent en route et accompagnent la réception d’un sacrement. Par ailleurs, après le sacrement, ils enrichissent la mise en œuvre de tel ou tel sacrement et lui donnent une dimension historique et personnelle bien singulière : « Les signes visibles qui accompagnent souvent les prières visent surtout à rappeler les actions salvatrices du Seigneur, manifestant un certain lien nécessaire avec les principaux sacrements de l’Église » (Le Livre des bénédictions, Préliminaires généraux 25, Paris, Chalet-Tardy, 1995, p. 9)

  • 5 Ibid. Préliminaires généraux 1, p. 5.

  • 6 Ibid., Préliminaires généraux 12, p. 7.

  • 7 Responsum (cité n. 2).

  • 8 « De surcroît, l’appréciation morale de l’union entre les personnes de même sexe ne peut ignorer le contexte sociétal de la revendication qu’elles puissent avoir accès à la procréation médicalement assistée (PMA) comme c’est le cas dans plusieurs pays européens. Le recours à la PMA aggrave encore la transgression de la norme universelle quand il est le fait de personnes homosexuelles, en raison non seulement de la dissociation entre union sexuelle et procréation, mais aussi du non-respect de la vocation de l’enfant à être élevé dans une famille où les parents sont de sexe différent » (P. Bordeyne, « L’Église catholique en travail de discernement face aux unions homosexuelles », Transversalités 157 (2021), p. 89-104).

  • 9 Responsum (cité n. 2).

  • 10 Il conviendrait aussi de considérer les aspects publics et privés de telles démarches afin d’éviter toute confusion et ambiguïté pastorale.

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