Un professeur renommé de l'Univ. de Jérusalem, enseignant la pensée
juive à la suite de G. Scholem, et comme lui, spécialiste de la
mystique, tente d'approfondir la réflexion de son illustre
devancier, tout en la déployant de manière créatrice, grâce à des
documents rendus disponibles par l'ouverture de la bibliothèque de
l'Europe de l'Est. Dans son introduction, l'A. se demande s'il
existe une véritable «union mystique» (devequt) dans le judaïsme,
en raison de l'absolue transcendance de Dieu. Il discute dès lors
les différentes propositions des chercheurs, tout en notant les
affinités entre théologie et mysticisme. Il s'interroge sur une
influence éventuelle de «l'union de l'âme avec l'Un» selon Platon.
Puis, sondant le domaine de l'imaginaire, il découvre dans les
croyances archaïques juives des entités linguistiques (le Nom
divin, la Torah, l'alphabet) en rapport avec le monde céleste,
telles qu'on les trouve dans la kabbale et le hassidisme. Son
propos est d'étudier dans la suite du livre ces «chaînes
enchantées». Un 1er chap. est consacré aux pratiques religieuses
comme acheminement vers des «techniques» mystiques concrètes,
plutôt que de déduire la mystique d'une approche théologique.
Examinant le «désir de l'âme» à s'unir à sa source, il considère la
chaîne des sefirôt des kabbalistes, puis il analyse l'imaginaire
médiéval juif à travers les termes utilisés. Le chap. 2 s'attache à
montrer comment atteindre Dieu par ses noms, en combinant les
lettres qui les composent, comme voie d'intégration à la présence
divine, à l'instar de la prophétie. Un 3e chap. passionnant
présente l'étude de la Torah comme technique et expérience de la
présence divine, découvrant les affinités entre membres du corps
humain et titres divins, la Torah faisant fonction d'intellect
agent dans l'extase kabbaliste. Le hassidisme du XVIIIe siècle
dévoile les secrets du Besht, son fondateur: la prière qui élève
l'âme vers Dieu et tire Dieu vers l'homme, grâce à la réutilisation
des textes canoniques comme la Mishna. C'est à la rencontre de Dieu
dans la prière qu'est consacré le chap. 4: l'acte de bénir,
imaginer une zone ontique des prières, la puissance interne de la
louange, la prononciation des noms, la prière comme corde reliant à
Dieu (influence du Pseudo-Denys), révélation dans la voix qui prie,
rituels et techniques. La conclusion reprend le rôle de la voix
dans la mystique juive. Dieu lui-même devient l'espace où il
rencontre l'homme dans l'observance des commandements. Il termine
par une note sur la particularité juive. Un livre saisissant, qui
ouvre de nouvelles perspectives sur la mystique juive. Un livre
difficile aussi, car il suppose une vaste connaissance du monde
juif au long des siècles, et notamment des chefs de file
hassidiques ou kabbalistes. Un univers s'ouvre au lecteur qui
accepte d'entrer dans l'imaginaire des mystiques d'Israël; ceux-ci
ont beaucoup à nous apprendre sur nos rapports intimes avec le
Tout-Autre. - J. Radermakers sj