Comment devenir plus catholiques... en s’inspirant des évangéliques

Henrik Lindell Pierre Jova
Œcumenism - reviewer : Anne-Marie Petitjean a.s.

Henrik Lindell et Pierre Jova, deux journalistes de La Vie, ayant connu de l’intérieur le monde évangélique avant d’opter pour le catholicisme n’en oublient pas moins des richesses évangéliques qu’ils continuent d’apprécier et dans lesquelles ils voient une chance pour le catholicisme.

Il faut saluer l’introduction permettant à un catholique de découvrir le monde évangélique. Un autre point fort de ce livre, prolongeant d’une certaine manière le livre de Valérie Aubourg, est de témoigner de ce qu’aujourd’hui on nomme « l’œcuménisme réceptif », à savoir la reconnaissance et l’accueil des richesses de l’autre ; une vision du dialogue comme « échange de dons » (Jean-Paul ii). Nos auteurs dénombrent neuf dons que nous pourrions recevoir du mouvement évangélique et consacrent un chapitre à chacun d’eux : la vie fraternelle, la pluralité des ministères, l’importance de la conversion personnelle au Christ, le zèle missionnaire, l’attention à une cohérence de vie si l’on veut refléter le Christ, la familiarité avec les Écritures et la Parole de Dieu qu’elles nous font entendre, un certain art de la prédication, un style de musique et l’ouverture à l’Esprit Saint. Ces points importants supposent donc une réelle conversion pastorale, ce qui fait l’objet du chap. 10. Ils n’en renient pas moins certaines richesses propres au catholicisme, telles l’intériorité, l’importance accordée à la liturgie et aux sacrements ou encore à l’inscription de toute vie chrétienne dans le temps et la durée sans oublier la mystique qui s’y greffe.

Le ton est militant et tel ou tel propos s’en ressent lorsque l’enthousiasme ou l’expérience singulière génère un propos qui appellerait plus de nuance (pour souligner que la lectio divina est ordonnée à goûter l’Évangile, faut-il l’opposer à l’exégèse alors que, sans avoir l’exégèse pour but, une lecture priante de la Bible requiert tout de même une lecture attentive du texte ?). Parfois, le style induit encore, probablement malgré l’intention de son auteur, des quasi-généralisations dommageables, p. ex., dans le récit que Pierre Jova fait de sa conversion (récit par ailleurs fort beau et stimulant) lorsqu’il évoque combien les évangéliques lui étaient proches alors que « tant de catholiques semblaient préférer la politique et les convenances sociales » ou encore certaines « soirées parisiennes qui convoquaient Charles Mauras pour parler du catholicisme (…) de la décadence moderne (…), mais jamais de Jésus-Christ ». Le jugement, lié à une expérience indéniable, vise à bon droit certains groupes, hélas, seuls rencontrés à un moment de son chemin. Il ne saurait être un arbre cachant la forêt luxuriante des autres groupes catholiques, ceux, p. ex., liés aux grandes écoles spirituelles. Ceci étant, on ne peut que se sentir en communion lorsque le converti s’écrie : « Il existe, je l’ai rencontré. Ce n’est pas une idéologie, c’est une personne » !

En bons journalistes, ils ont enquêté, interviewé et nous rapportent des expressions fortes de telle ou tel, p. ex. : « On ne changera pas le monde en allant à l’Église. On changera le monde en devenant l’Église ». À propos de l’appel à des communautés plus fraternelles qu’un tel devenir requiert, nous est rapporté une remarque intéressante faite par un pasteur évangélique : « je me demande si, en un certain sens, le catholicisme romain n’a pas “transféré” vers le monachisme cette vocation de “vivre ensemble” ». Une telle remarque n’est pas sans rappeler une réflexion de Neal Blough lors de son intervention au colloque tenu pour les 150 ans des diaconesses de Reuilly, lorsqu’il voyait, dans l’émergence de l’évangélisme, un monachisme de substitution. Ces propos de grand intérêt ne sont toutefois pas sans poser une question à mes yeux essentielle : est-ce non évangélique (au sens de fidélité à l’Évangile) d’être une « grande Église » (E. Grieu), une Église « multitudiniste » comme disent les évangéliques (le terme « évangélique » désigne ici le fait d’appartenir à une confession chrétienne particulière) ? Certes, à ses risques et périls parfois, l’Église catholique rassemble des cercles fort divers qui, p. ex., ne sont pas tous prêts à troquer l’orgue pour d’autres instruments (là je souris !) et dont les niveaux d’appartenance varient. Ces cercles si divers ne sont pourtant pas sans rappeler la diversité des personnes qui entouraient Jésus sur les routes de Galilée et qui étaient loin d’être tous des disciples. Pourtant, in fine, n’attestent-elles pas, tout au long du récit évangélique, la gratuité absolue de la bonté divine pour toute femme et tout homme ? Ne serait-ce pas une des richesses du catholicisme – comme des autres Églises multitudinistes – de le rappeler ? Les évangéliques, rassemblés dans des communautés regroupant surtout des disciples, pourraient par contre nous inviter à développer une vraie mystique de ce multitudinisme quand bien même ils nous rappellent l’envoi du Seigneur pour faire des disciples. À cette fin, s’impose de poursuivre un dialogue concernant l’évangélisation et sa mise en œuvre, à mon sens par trop limitée à un seul modèle dans ces pages.

Il y aurait encore beaucoup à dire à partir de ce livre, qui, même s’il suscite des critiques, est une vivante invitation ou un vivant rappel de ce qu’implique une vie chrétienne : le lien personnel au Christ, l’habitation de l’Esprit en chacun, les charismes et audaces qu’Il suscite, sans oublier la dimension holistique du salut. Tant de bienfaits vont de pair avec l’importance donnée à la louange pour laquelle l’homme est créé, comme disait Ignace de Loyola en son temps. — A.-M. Petitjean a.s.

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