Apparus au sein de sociétés et de cultures très différentes, le
bouddhisme ancien (celui du canon pâli) et le confucianisme
classique (celui de Confucius et Mencius) ont-ils produit des
éthiques comparables? Oui, répond ce livre, à condition de placer
l'un et l'autre dans la perspective de la transformation de soi
(self-transformation). La distance culturelle ne doit pas masquer
le fait qu'il s'agit, de part et d'autre, d'une «éthique de
formation du caractère». L'écart des motivations profondes et des
fondements philosophiques n'exclut pas un parallélisme dans les
méthodes et dans les étapes du développement moral. En particulier,
la compassion bouddhique (karunâ) occupe une place et joue un rôle
très semblables à ceux de la bienveillance (ou «humanité»: jen)
confucéenne. Dans l'une et l'autre traditions, la vertu principale
inspire un projet de vie et des institutions, tant au plan de
l'éducation que du gouvernement de la société. La mise en oeuvre
patiente de ce programme comparatif permet en effet de projeter des
éclairages nouveaux et de mettre au jour convergences et
divergences. En revanche, malgré une volonté affichée
d'impartialité, l'impression prévaut d'un regard confucéen sur le
bouddhisme, plutôt que l'inverse. Malgré les précautions et les
nuances du commentaire, bien des termes communs (en anglais)
risquent de couvrir des réalités fart diverses. Jusqu'où est-il
permis de considérer le tao (confucéen) et surtout le nirvâna comme
un objectif moral? Affirmer que «morals are for human beings»,
est-ce une manière très bouddhique de s'exprimer? Que signifie le
mot «vertu» lorsqu'on lui fait englober, en bouddhisme, des
pratiques ascétiques et même chacun des articles de la règle
monastique? La perspective monastique du premier bouddhisme
n'est-elle pas minimisée au profit d'une éducation ou d'une
maîtrise de soi orientée vers la pratique sociale de la compassion?
Étendre progressivement l'application de cette vertu (de soi aux
proches, aux moins proches, à tous les êtres): cela semble plus
confucéen que bouddhique. Et si notre capacité (limitée)
d'indignation semble restreindre le champ d'application de la
compassion, c'est peut-être que cette dernière est ici trop définie
en fonction des caractères particuliers de ses «objets» ou de ses
destinataires: est-ce encore la compassion du bouddhisme? Il en va
de même lorsque, s'interrogeant sur la visée d'une conduite
impartiale qui ne privilégierait ni le moi ni les autres, l'on
suggère qu'il puisse y avoir des exceptions: c'est à nouveau
définir la compassion par ses objets.
Notons enfin que bien des développements, dans cette étude, font
intervenir, sinon un troisième pôle de comparaison, du moins des
références fréquentes et précises à l'éthique occidentale. Le débat
s'en trouve enrichi, mais au risque de perdre parfois de vue la
spécificité des problématiques indienne et chinoise. - J. Scheuer,
S.J.