Correspondance 1939-1974, annot. M.-J. Rondeau, É. Fouilloux

Henri de Lubac s.j. Jean Daniélou (Card.)
History of thought - reviewer : Bernard Joassart s.j.

On sait l’importance de toute correspondance échangée entre deux protagonistes pour la connaissance de leur carrière respective et très souvent de leur époque, surtout s’il s’agit de personnalités de l’envergure d’henri de Lubac et de Jean Daniélou.

Présentons tout d’abord le contenu du livre : une présentation de D. Bertrand ; un « témoignage » de M.-J. Rondeau qui rappelle les conditions dans lesquelles fut entreprise l’édition de cet échange épistolaire ; l’édition des lettres ; 5 annexes (dont on aurait aimé trouver le titre dans la table des matières) : 1. la « déclaration théologique » de Mgr de Solages, de mai 1947, tentative faite par le prélat afin de trouver un terrain d’entente entre ceux qui étaient soupçonnés d’être les « nouveaux théologiens » et leurs contradicteurs ; 2. une lettre de Lubac à Yves Simon (27 juillet 1947) ; 3. un petit dossier concernant la « discussion » entre Philipp Donnelly et Lubac à propos de Surnaturel ; 4. une « note sur la crise de 1950 » qui expose principalement le différend entre Lubac et Daniélou au sujet de leurs prises de position respectives dans l’affaire de la « nouvelle théologie » ; 5. cette note est suivie de l’édition de lettres de Lubac au P. d’Ouince, où celui-là expose son mécontentement (pour ne pas dire plus ; ses termes sont plus que sévères) à l’égard de Daniélou dans cette affaire et la direction des Sources chrétiennes.

Le corpus épistolaire proprement dit compte 221 lettres, dont seules 32 sont de Lubac, ce dernier ayant été meilleur archiviste que son interlocuteur. Il s’y trouve deux ensembles d’inégale ampleur : le premier, le plus abondant (193 lettres), va de 1939 à 1950 ; le second commence en 1956 et se termine peu avant le décès de Daniélou. À y regarder de près, c’est en définitive de Daniélou, au tempérament bouillonnant et parfois (souvent) imprévisible, dont on apprend le plus, en particulier à propos du lancement et du développement de la collection Sources chrétiennes et des difficultés qu’elle rencontra dans l’affaire de la « nouvelle théologie », la revue Dieu Vivant, la poursuite de Témoignage chrétien, Vatican ii, ses suites et les craintes éprouvées par Lubac et Daniélou après le Concile. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’apprend rien à propos de Lubac, notamment au sujet des premières réactions à son Surnaturel (1946), ouvrage récemment réédité comme tome 11 de ses Œuvres complètes. Mais, en définitive, on est en droit de se demander si une telle correspondance trouvait sa place dans ces dites Œuvres complètes de Lubac.

La qualité des relations entre les deux hommes ne fut pas toujours au beau fixe. Jusqu’en 1950, on peut certes dire que leurs rapports furent fort cordiaux et amicaux, ce qui n’exclut pas qu’il y eut parfois des tiraillements, notamment à propos de la direction de la collection Sources chrétiennes (Daniélou faisait bien souvent cavalier seul), et qu’avec l’arrivée de la tempête de la « nouvelle théologie », il y eut une prise de distance entre les deux correspondants. Daniélou, pourtant le « déclencheur » de l’affaire avec son article Les orientations présentes de la pensée religieuse, paru dans les Études 249 (1946), p. 5-21, a manifestement agi de manière à se désolidariser des « nouveaux théologiens » et a passablement énervé son confrère, comme en témoignent les quelques lettres déjà évoquées que Lubac adressa à d’Ouince. Et dans le second ensemble, on perçoit bien que les relations revêtirent une tournure moins cordiale.

Il n’est pas inutile de rappeler ici l’histoire de ce volume qui conditionne en grande partie le produit fini et sans doute aussi certaines de ses faiblesses. Cette édition est l’aboutissement d’un travail qui s’étala sur 45 ans. 167 lettres ont effectivement été publiées par M.-J. Rondeau, entre 1975 et 2005, dans les Bulletins des amis du cardinal Daniélou. Les 65 premières ont par ailleurs été exploitées par É. Fouilloux pour son ouvrage La collection « Sources chrétiennes » (1re éd. en 1995, 2e éd. en 2011), documents dont il entreprit l’annotation.

L’édition scientifique d’une correspondance n’est jamais chose facile. On connaît la maxime : « la critique est aisée… ». Je signale ce qui me paraît être un premier manque : la table des matières doit inclure la liste des lettres éditées. Cela donne une meilleure approche de la chronologie des relations entre les correspondants.

L’annotation est une opération toujours délicate : on doit sans cesse se mouvoir entre le « trop peu » et le « trop plein ». La page de titre nous apprend que celle de cet ouvrage est le fruit du travail de plusieurs mains, en l’occurrence É. Fouilloux et M.-J. Rondeau, auxquels il ne faut pas oublier de joindre le nom de Sylvie Mascle qui, comme l’indique D. Bertrand, a procédé à une « réduction éditoriale dans [les] notes » (p. 12). On aurait aimé en savoir plus sur cette « réduction », d’autant plus que dans bien des occurrences, soit on reste sur sa faim, soit on est littéralement submergé.

Cette annotation fourmille de noms de personnes. Certaines indications à leur sujet me paraissent toujours indispensables : le prénom, l’appartenance à un ordre religieux le cas échéant, et les dates de naissance et de décès, avec éventuellement un bref curriculum vitae (de préférence à la première occurrence). Or on est bien loin du compte, et de tels renseignements élémentaires sont fournis un peu au petit bonheur la chance. Et cette faiblesse se combine avec une autre, plus dommageable, qui est la présence de deux index des « auteurs ». L’un est consacré aux auteurs anciens, et plus précisément ceux qui vécurent jusqu’au xvie siècle inclus, l’autre aux auteurs modernes, à partir du xviie siècle. Quel critère a été retenu pour cette frontière chronologique xvie s./xviie s. ? Voilà qui est d’autant plus étrange que Jansenius est repris dans le premier index, François de Sales dans le second. Or ils ont vécu respectivement de 1585 à 1638 et de 1567 à 1622. La Vierge Marie et Syméon sont mentionnés dans le premier index ! Sont-ils des auteurs anciens ? Et on sera sans doute un peu étonné de voir cité dans l’index des auteurs d’avant le xviie s., Adhémar d’Alès, qui vécut de 1861 à 1936, Catherine de Gênes (1447-1510) pour sa part, ayant été classée dans les auteurs d’après le xvie s. Quoi qu’il en soit, il faut quand même être averti que dans ces deux index, ni les prénoms, ni les appartenances aux ordres religieux, et encore moins les dates de naissance et de mort ne sont indiquées. In fine, le lecteur est privé de ce qui est annoncé à la p. 38 : « afin d’alléger les notes, les dates des auteurs modernes (et pourquoi seulement eux ?) figurent seulement dans l’Index » ! N’eût-il pas été de meilleur aloi de faire un index unique de toutes les « personnes » ? Et mieux encore, dans cet index, de fournir au lecteur le bref curriculum vitae des personnages ?

Je reviens sur la fabrication du volume dans son ensemble. Il me paraît évident qu’un tel ouvrage doit être « autonome », d’autant plus que les thématiques présentes dans les documents ne sont pas anodines, et que l’on rencontre également toute espèce de détails sur l’histoire du catholicisme de l’époque. Il me semble que, pour la facilité du lecteur, il eût été nettement préférable de donner une présentation plus classique, rappelant notamment la carrière des deux protagonistes, et présentant les problématiques abordées dans les lettres et l’implication des deux protagonistes dans ces questions ; autrement dit de fondre en un seul texte la présentation de D. Bertrand et les annexes (en particulier la 4e), et à placer, en fin de volume les documents des annexes actuelles. À défaut de cela, on ne peut dès lors qu’inviter le lecteur à se reporter à l’ample biographie de Lubac entreprise par G. Chantraine et continuée par M.-G. Lemaire (malheureusement le tome 3 couvrant les années 1930-1959 est encore dans les cartons de l’auteure), et aux ouvrages d’É. Fouilloux, Une Église en quête de liberté (2006²), La collection « Sources chrétiennes » (2011²) et Christianisme et eschatologie (2015) (histoire de la revue Dieu vivant). Voilà qui permettra au lecteur de disposer d’un fil conducteur sûr qui lui évitera le découragement. — B.J.

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