Dogmatique pour la catholicité évangélique. Système mystagogique de la foi chrétienne. V. L'affirmation de la foi. Théologie théologique: 2. L'oeuvre continue du Dieu vivant

Gérard Siegwalt
Theology - reviewer : Yves Labbé
Les 2 volumes achèvent la Dogmatique publiée à compter de 1986 par le théologien pro¬testant de Strasbourg. Le projet aura été tenu en 10 volumes. Après les fondements et les médiations, l'affirmation de la foi est passée par la cosmologie, l'anthropologie, finalement la théologie: le discours du Dieu vivant en lui-même et dans son oeuvre. Si aucune succession nécessaire ne s'est imposée entre les 5 tomes, l'affirmation de la foi se déploie toujours selon 3 étapes: méthodologique, philosophique, théologique. Si les deux dernières remettent en valeur les démarches dites sapientiale et prophétique, la présente division en 2 volumes n'est que de circonstance, l'étape proprement théologique recouvrant les trois quarts du texte.Après avoir décrit la situation contemporaine et rappelé la responsabilité du théologien, la méthodologie s'explique sur les rapports entre philosophie et théologie devant Dieu: «le mystère du fondement et de la finalité du monde est perceptible à la pensée» (1, 58). Le recours au réel apparaît déterminant, ici et pour la suite: un réel irréductible à l'humain, porté vers une transcendance et formé de relations.La philosophie s'applique alors à y découvrir les éléments d'une dimension de transcendance «proprement structurante pour le réel» (1, 152): une intériorité universelle, une univocité ambivalente, une structuration trinitaire. On y relève une discussion sur la trinité ou la quaternité du divin engagée à partir de C.G. Jung, lequel constitue, avec P. Tillich, une référence privilégiée de l'A. Mais elle conduit simplement à reconnaître le poids du mal subi autant que du mal commis dans la question du divin.Pour aller à l'essentiel d'une dernière étape longue, riche mais complexe, on dira que la théologie s'étend de l'ontologie trinitaire à l'économie trinitaire. L'ontologie défend la circularité fondatrice des trois manières d'être de Dieu: transcendante (le Père), immanente (le Fils), présente (l'Esprit). C'est ainsi que se signifie le Dieu vivant. Le développement ouvre à une interprétation généreuse de l'islam au sein d'un «oecuménisme abrahamique»: il faut y voir un projet, une offre, un droit divins, chacun des trois monothéismes étant fondé dans une révélation du Dieu un et unique (1, 199). Il s'emploie aussi à relativiser les différentes successions entre les trois manières d'être de Dieu aussi bien dans les écrits néotestamentaires que dans les traditions théologiques. Aucune n'est à privilégier. Seule la circularité est vraie. Elle rejaillit des manières d'être de Dieu vers les manières de le signifier, qu'elles soient juive, chrétienne ou musulmane.
L'économie pourrait s'exposer en commençant par le Père, le Fils ou l'Esprit. Elle choisit toutefois d'aller de l'Esprit au Fils par le Père, selon le mouvement qui va de la sanctification à la rédemption par la création. La christologie fermera donc la marche en confirmant l'inclusion de la rédemption dans la création: second postulat, après la circularité trinitaire, de la théologie théologique. Or, ce postulat ne vaut pas seulement pour l'oeuvre du Christ mais pour sa personne et dès son origine: «il est Créateur-Rédempteur dans l'unité de la manière d'être immanente de Dieu qu'il est dans sa qualité de Fils de Dieu, et ce dès l'origine et pour la suite des temps» (2, 305). L'A. ne se dérobe pas à reconnaître l'identité du Jésus de l'his¬toire et du Christ de la foi. La résurrection commande d'identifier l'oeuvre de Jésus Christ à sa personne dans une économie du don de soi. L'A. y prend le temps, tout le temps, d'examiner les christologies de l'adoption et de l'incarnation, les catégories traditionnelles de la sotériologie ou les décisions dogmatiques de Chalcédoine. La vérité de ce concile aura été son échec à apporter une solution au problème christologique. «Nous le disons, poursuit l'A., la christologie véritable, par-delà toute affirmation est apophatique» (2, 273). Ce n'est pas la première fois qu'il glorifie l'apophatisme, au-delà d'une dialectique d'affirmation et de négation.
Le dernier tome de la Dogmatique se présente donc comme un discours du Dieu «tri-un», selon l'expression favorite de G. Siegwalt. Elle s'achève sur la prière du Christ Jésus pour l'unité de ses disciples: Ut unum sint! On peut voir dans sa forme latine un salut discret et fraternel vers les catholiques. Contrairement à une inclination de la théologie luthérienne, la christologie est première par rapport à la sotériologie: une sauvegarde contre une réduction du salut à l'humanité et au péché. En retour, la christologie se trouve incluse dans une théologie trinitaire qui est ontologique avant d'être économique. C'est le signe d'une théologie qui se veut «oecuménique», au-delà non seulement des confessions chrétiennes mais encore des religions abrahamiques. Le dialogue n'aurait pas d'autre terme que son chemin même (2, 9).Si les références aux auteurs restent très limitées, ceux-ci ne sont pas méconnus. Les dossiers évoqués le prouvent. D'autres questions controversées mériteraient un arrêt: la concep¬tion virginale, comparée au tombeau vide, l'addition du filioque, accusée de christocentrisme, etc. L'importance accordée à la théologie trinitaire rencontre sans réserve l'assentiment. Le report de l'économie et particulièrement de la christologie demeure sujet à discussion. La créativité attribuée au Père et la réciprocité marquée du Christ et de l'Esprit offrent des appuis forts pour le renouvellement de la théologie trinitaire. En retour, la circularité ne paraît pas pouvoir résoudre en elle la linéarité. L'unité en Dieu vient aussi de Dieu, le Père. Il n'y a pas là danger de monarchianisme. Le monothéisme trinitaire échapperait-il à une polarité du discours que l'A. accepte ailleurs si généreusement? Ne nous invite-t-il pas constamment à choisir l'un et l'autre plutôt que l'un ou l'autre? Or, la circularité trinitaire, omniprésente sur les 600 pages, revient ici à une exclusive: la communion sans l'origine. En dehors de cette dernière polarité, résolument maintenue, l'éloignement à l'égard du subordinationisme (substitué par l'A. à subordinatianisme) ne risque-t-il pas de s'inverser en une proximité avec le modalisme?
L'A. débusque une infinité de transformations, toujours malheureuses, d'une polarité entre l'un et l'autre en une polarisation sur l'un ou l'autre. C'est une clé de lecture fréquente, mais seulement négative, de la Dogmatique. Il en résulte un procès continu de dénominations contraires dotées du suffixe «isme». L'autre clé de lecture, celle-ci positive, conduit à un oecuménisme universel, j'ose dire océanique, conforté par les archétypes jungiens: oecuménisme abrahamique, interreligieux, cosmique. Mais l'acceptation du dissensus n'est-elle pas requise pour la recherche d'un consensus? Il faut alors distinguer, sans les opposer, le terme d'un dialogue et son chemin. L'A. me pardonnera-t-il une ultime remarque? Une présentation encyclopédique, au sens d'une architectonique, avec sa multiplication de divisions disciplinaires, charge la Dogmatique d'une apparence trop formelle. Or celle-ci sied mal à un propos qui, jusqu'à la fin, renvoie à une connaissance existentielle de Dieu. Ne devrait-on pas souhaiter que, par une ascèse extrême, l'on ajoute simplement «christologie» à «théologie», ici pour une raison non de convenance mais de fondation?
Il ne faudrait pas que les lecteurs se laissent détourner par un aspect à la fois austère et déroutant, jusque dans les titres et leur graphisme. La présente Dogmatique donne en fait beaucoup à penser et peut même apprendre beaucoup. Un index thématique pour chaque volume y aidera. - Y. Labbé (Univ. Marc Bloch, Strasbourg)

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