Église synodale et démocratie. Quelles institutions ecclésiales pour aujourd'hui ?

Roberto Repole
Theology - reviewer : Rodrigue Gbedjinou
Cette publication est la trad. du livre italien Come stelle in terra. La Chiesa nell'epoca della secolarizzazione (Assise, Citadella, 2012). L'A., bien connu en milieu théologique italien, prof. d'ecclésiologie et président de l'Association des théologiens italiens, est engagé dans la recherche de diverses modalités pour l'Église d'habiter une société sécularisée en restant fidèle au message évangélique. Il propose à cet effet une synthèse organique dans cette oeuvre.
Par une approche herméneutique axée sur le magistère de Vatican ii, Roberto Repole propose des lignes significatives, certes non exhaustives, pour « repenser », à partir de la foi et de l'Évangile, la mission de l'Église. Dès l'introd. (p. 5-10) sont précisés méthodologie et objectif de l'ouvrage, dont le destinataire principal est l'Occident chrétien sécularisé. Cette analyse ecclésiologique dynamique en 5 chap. offre également de précieux axes pour tout essai d'inculturation, même en des milieux où la foi comme pratique est en forte croissance. Le recours à l'analogie des étoiles sur la terre (Ph 2,15), manifeste dans le titre italien, mais transversale à toute l'oeuvre, évoque le paradoxe de la vie du chrétien : être pleinement sur la terre pour une mission reçue du ciel. Ce paradoxe, inhérent à l'être chrétien, jadis évoqué par la célèbre Lettre à Diognète et pour lequel St Augustin recommandait la capacité de discernement, constitue un plus grand défi encore quand la terre est déconnectée du ciel. Une telle situation, quasi ambiante en Europe, loin d'être une fatalité ou d'enfermer dans le désespoir, pourrait constituer une opportunité pour mieux proposer le Christ, hier, aujourd'hui et à jamais le même.
La réflexion s'ouvre par une présentation des caractéristiques des temps où vit l'Église en Europe (« entre fin de la chrétienté et sécularisation », p. 11-32) par le recours à diverses approches philosophiques et sociologiques de la sécularisation. Celle-ci nous rappelle que la religion ne se présente plus, de nos jours, comme « l'unique facteur d'intégration sociale » (N. Luhmann). Même si l'Église ne peut se résoudre simplement à n'être qu'un système parmi tant d'autres, elle doit tenir compte désormais des autres systèmes. La « communion », (re)découverte au concile Vatican ii (p. 33-51) plus comme projet ou horizon que comme idée maîtresse des différents documents, constitue un concept porteur. Une plus grande précision du concept est donc indispensable pour que celui-ci ne devienne pas un slogan qui enferme dans le particularisme ou un prétexte d'unité sous forme de refus de la pluralité. Par ailleurs, la communion doit se manifester par des dispositions ecclésiales concrètes comme les soins de Dieu (p. 45-46), de l'unité plurielle (p. 46-48), de la totalité des fonctions (p. 48-49) et de la figure chrétienne du salut (p. 50-51).
Face à la sécularisation interprétée comme changement des conditions de croyance, affecté d'un fort coefficient d'« expressivisme » (C. Taylor), l'Église est appelée à sortir d'un message à tendance monolithique (p. 54) tout en évitant dans le même temps de se livrer à un pluralisme, tous azimuts, sans horizon d'unité. La synodalité (p. 53-72) favoriserait mieux la rencontre avec Dieu et avec les autres. Elle constitue alors un projet d'avènement de la communion entre Églises particulières et Église universelle, entre les divers organismes dans les diocèses et paroisses, et surtout par le défi d'une plus effective participation des laïcs, et pas seulement au regard de la pénurie des ministères ordonnés.
Devant la sécularisation, envisagée comme passage de l'hétéronomie à l'autonomie (M. Gauchet), serait-il possible d'accorder l'Église, peuple qui reçoit de Dieu son être, à l'État démocratique qui trouve en soi sa fin (p. 99-121) ? Déclarer que l'Église n'est pas démocratique serait-il vraiment la solution la plus convaincante ? Restant saufs l'être et la nature de l'Église, il existe des possibilités de convergences entre sa vie et les diverses exigences démocratiques auxquelles notre temps est plus sensible. Ne serait-ce pas en laissant l'esprit démocratique pénétrer certains aspects de sa vie que l'Église pourra mieux interpeller la démocratie, livrée de nos jours à diverses crises par carence de sens ? Au-delà des polémiques de revendication des années 1960 d'une Église démocratique, l'A. esquisse sereinement et fermement des lieux de déterminations mutuelles entre Église et démocratie.
Les nouvelles conditions de croyance et le passage de l'hétéronomie à l'autonomie soulèvent aussi la question du rapport à l'autorité. Une réflexion sur le ministère ordonné (p. 73-97) est alors ouverte, au regard de la postestas ordiniset de la postestas iuridictionis. Celles-ci sont appelées à s'exercer comme service et mission vers tous les hommes en tant que médiation du Christ. Toutefois, les différentes charges que le Concile requiert du prêtre (désormais compris comme investi ministériellement des trois munera et non plus seulement comme sacerdos) et de l'évêque (dont le caractère sacramentel de la mission a été réaffirmé en termes de configuration au Christ et de rapport aux autres et non plus seulement sous l'angle juridictionnel) peuvent paraître lourdes à porter par une personne. N'y aurait-il pas alors à réfléchir à d'autres figures de vie ecclésiale qui permettent au prêtre et à l'évêque d'échapper à la frustration ou de se disperser dans la « mythisation » des rôles, caractéristique de notre temps ? L'intérêt de la mise en application pastorale et ecclésiale de la communion, de la synodalité, prend également ici tout son sens.
À la différence de l'édition italienne (publiée avant l'élection du pape François), cette version française s'achève par un épilogue (« Dans le sillon du pape François », p. 123-131) où l'A. relève l'effort de mise en application de divers axes de Vatican ii comme « la communion, la synodalité, le sens du ministère (en particulier celui du prêtre) et les modalités de son exercice, le rapport entre l'Église et les sociétés civiles organisées pour la plupart selon la forme démocratique » (p. 125) dans le mode et le magistère du pape François (voir Misericordiae vultusEvangelii gaudiumLaudato si'). L'A. a aussi le mérite d'échapper aux tentations habituelles de réductions sociologiques et politiques de la catégorie « peuple de Dieu », en y associant heureusement celle de sacrement (universel) de salut (LG 1), proposée timidement au même concile de l'aggiornamento.
Cet ouvrage constitue donc un essai pertinent d'herméneutique théologique qui invite à la créativité. Bien qu'elle s'adresse essentiellement à un contexte ecclésial sécularisé, l'oeuvre ne manque pas d'intérêt pour les sociétés où est encore vif le sens de Dieu et où l'Église est en croissance comme en Afrique. La réflexion pourrait alors constituer un outil méthodologique, qui invite à aller au-delà des particularités culturelles, certes nécessaires. Par ailleurs, elle se propose aussi comme une invitation à ce que ces Églises (apparemment encore épargnées par les affres de la sécularisation active) entreprennent une conversion pastorale et théologique, pour un évangile plus incarné dans la vie de leur peuple : éviter de s'allier aux pouvoirs civils, offrir par sa vie un témoignage de transparence et de cohérence évangélique.
La créativité à laquelle l'Église est appelée n'est pas d'abord ou seulement une question de structures ou d'institutions à créer ou à réformer, mais une conversion de l'être et de l'agir. - R. Gbedjinou

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