Henri Irénée Marrou historien engagé

P. Riché
History - reviewer : Bernard Joassart s.j.
Il n'a pas traversé son siècle, dans les premières années duquel il était né, en 1904, puisque, à l'aune de nos critères en matière de longévité, il s'éteignit prématurément, en 1977. Et pourtant, comme praticien de l'histoire et comme intellectuel au sens large, il ne fait pas de doute que Marrou a marqué son siècle d'une empreinte autre que simplement journalistique, au point que ce n'est pas la première fois que l'on s'intéresse de près à son oeuvre (cf De Renan à Marrou; cf. NRT 123 [2001] 320)
Écrire une biographie de Marrou n'était pas chose aisée: il n'existe pas de fonds d'archives Marrou. P.R. a tourné la difficulté, ou plus exactement l'a «transformée» en composant comme un «Marrou par lui-même», citant de nombreux extraits de ses écrits, sans oublier de faire appel à bon nombre de témoins qui d'une manière ou d'une autre côtoyèrent l'historien, quitte parfois à le critiquer (tous ses collègues en histoire comme en d'autres disciplines ne le rejoignaient pas dans toutes ses idées). À lire l'ouvrage, on pourrait conclure à un «touche-à-tout». L'Antiquité tardive, dominée entre autres par la figure d'Augustin, fut son domaine de prédilection. Encore faut-il bien voir que ce fut «toute» cette période qui retint son attention: l'ensemble des composantes de la société de ce temps l'intéressaient, entre autre la musique (cf. le Traité de la musique selon l'esprit de saint Augustin, 1942). Il sut aussi sortir des cadres chronologiques définis par les règles académiques; exemple type: il fut membre du jury de thèse d'Émile Poulat, consacrée au modernisme? Belle leçon pour les historiens de notre temps qui, à l'instar de la médecine contemporaine, versent souvent dans l'hyper-spécialisation et oublient de rester des «généralistes».
Il osa réfléchir sur son métier. Qui ne connaît le merveilleux De la connaissance historique (1954)? Il osa même sortir de sa discipline, porté qu'il fut par Augustin à composer une Théologie de l'histoire (1968).
Il osa résonner avec son époque, qui connut de grands bouleversements. À ce collaborateur pendant de longues années d'Esprit, l'«histoire immédiate» lui était familière (pensons à la Guerre d'Algérie ou encore les grandes questions posées par l'organisation des études universitaires en France), et sa connaissance des premières siècles chrétiens tout autant que sa foi ne pouvaient qu'attirer son esprit sur Vatican II que Jean XXIII avait voulu comme une nouvelle Pentecôte.
Un «touche-à-tout»? Certes. Mais avec raison et non par dilettantisme. Car à y regarder de très près, et tout affable qu'il fut, à commencer à l'égard de ses étudiants, l'homme était «sérieux». Le travail bien fait, rigoureux, ciselé était l'exigence première, sans laquelle les discours, même habillés des plus belles formules académiques, ne sont que fumisterie.
Une foi profonde l'animait. À ce sujet, laissons la parole au signataire de la préface:
«Pierre Riché dévoile ce qui unifie la personnalité d'Henri Marrou et qui est peut-être aussi l'une des sources de son rayonnement: sa foi chrétienne. Il est représentatif d'une génération de jeunes catholiques qui ne voulaient pas d'un partage ou d'une dissociation entre leurs convictions et leur activité professionnelle: pour eux l'intelligence est un devoir et une vertu et elle doit s'exercer aussi dans l'ordre de la foi. Marrou allie liberté d'esprit et fidélité à l'Église. C'est sa foi aussi qui inspire ses engagements dans la cité et ses prises de position sur les questions de société: c'est au nom de l'idée de l'homme et de la justice qu'il tire de l'Évangile, qu'il dénonce les atteintes à la dignité de la personne» (p. 9).
Et R. Rémond de conclure: «Si la sainteté c'est de parvenir à conformer sa conduite et ses actes à sa croyance et de correspondre à sa vocation, est-il déraisonnable d'espérer qu'un jour cette Église, à laquelle il a toujours été indéfectiblement attaché, qu'il a aimée tout en la jugeant, reconnaîtra, comme elle l'a fait récemment pour Frédéric Ozanam, la sainteté d'Henri Irénée Marrou pour le proposer comme un exemple d'intellectuel chrétien?» (p. 9).
Mais c'est là bien sûr une autre histoire… - B. Joassart, S.J.

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