Directrice de recherches en philosophie et spécialiste de Taubes, E. Stimilli nous offre ici le premier essai de synthèse sur la pensée complexe de ce rabbin. J. Taubes (1923-1987), fils de rabbin viennois, passe avec son père à Zurich en 1936 et y devient rabbin lui-même en 43, étudie en outre la philosophie occidentale et les mathématiques tout en suivant à Bâle quelques cours de K. Barth et d'U. von Balthasar. En 47, il publie sa thèse philosophique sur L'eschatologie occidentale et part pour New York où il épousera une juive, Susan, fille d'un psychanaliste et philosophe elle-même; elle s'opposera souvent aux idées de son mari. Devenu professeur au Séminaire hébraïque où il rencontre Scholem, Jacob le suit comme professeur à l'Université de Jérusalem en 51; puis en désaccord avec lui, il retourne aux USA dès 53 et enseigne à Princeton, puis à Columbia où sa femme le rejoint comme professeur. En 66, il part seul à Berlin pour enseigner le judaïsme à la Libre Université, puis l'herméneutique en 79, avec un cours à Paris. En 65, son père, émigré à Jérusalem, se heurte aux autorités religieuses et se suicide après quelques mois. En 65 encore, sa femme, Susan demeurée à New York, publie un roman autobiographique, Divorcer, et se suicide elle aussi quelques mois plus tard. Bel homme, Jacob ne dédaignait pas les conquêtes féminines. Ces chocs détériorent son psychisme et le contraignent dès lors à recourir plusieurs fois à un hôpital psychiatrique. En 83, ses étudiants et amis lui dédient un volume d'hommage pour ses 60 ans. En 87, il dirige à Heidelberg un dernier séminaire sur la Lettre aux Romains de saint Paul et meurt d'un cancer peu après.
Taubes s'est en grande partie affronté à la pensée hébraïque et allemande d'après-guerre, surtout C. Schmitt et W. Benjamin, et fut probablement le premier à signaler les liens de Benjamin avec la pensée nazie. De même, s'il doit beaucoup à la pensée première d'Heidegger, il n'a pas hésité à critiquer ensuite la réduction de sa pensée à la seule métaphysique. Le point central de la réflexion du rabbin Taubes fut le messianisme juif, mais il n'a pas hésité à étudier le messianisme chez saint Paul et l'expérience temporelle et historique de la période judéo-chrétienne avant l'hellénisation de la pensée chrétienne. On a vu que son dernier séminaire portait sur l'Épître aux Romains. Dans son premier livre sur L'eschatologie occidentale, il remet en question la théocratie juive de type politique, contraire au pacte de l'Alliance avec Dieu; ce sera aussi le thème de son livre posthume, Théocratie, à partir du sens du temps et de l'histoire.
E. Stimilli groupe la pensée de Taubes autour de deux pôles: la philosophie de l'histoire et la théologie politique, en les situant dans leur contexte historique et en lien avec notre présent où règne l'état de guerre ouverte, avec la menace d'une guerre de religions. La souveraineté de l'État se transforme en domination planétaire pour établir une société de consommation profitable aux puissants. Quelle est la fin de l'histoire dont a parlé Hegel? Taubes a essayé de répondre à cette question et il aboutit à un messianisme qui écarte la théologie politique de souveraineté et repense complètement la philosophie de l'histoire en rejetant l'apocalyptique de C. Schmitt. C'est le lien entre l'apocalypse et l'histoire qui se trouve au centre des débats et où Taubes situe la pensée de saint Paul sur la résurrection du Christ et la parousie, avec le «déjà là» et le «pas encore» de la parousie, mais sans transformation spirituelle de la condition nouvelle. Le messianisme de Taubes est autonome par rapport à l'apocalyptique et liquide la théologie politique en accomplissant totalement la Loi et l'histoire. Le messianisme est la partie la plus fertile mais aussi la plus opaque de l'oeuvre de Taubes. Cet ouvrage a tenté la première synthèse de l'oeuvre touffue de ce rabbin
audacieux et à la vie déconcertante, au point que Stimilli a préféré garder pour la fin la courte biographie de Taubes, probablement par crainte d'indisposer ses lecteurs dès le début. Taubes a voulu confronter le judaïsme à la pensée moderne et il a marqué des points. Ce trop bref résumé du livre voudrait encourager à lire cette pensée originale qui a encore peu tenté les spécialistes d'histoire, de politique et de théologie. - B. Clarot sj

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