L'Acédie, le vice de forme du christianisme. De Saint Paul à Lacan

Lucrèce Luciani-Zidane
Spiritualiy - reviewer : Emmanuel Tourpe
Que faire avec ce livre coloré où domine le champ lexical de la «fureur» et de la «férocité» (p. 195)? Dégager les fils scientifiques de sa trame assertorique improbable n'a rien de simple.On pourrait y voir là un tissu de lacaneries, un énième traité anti-paulinien, quelque resucée provinciale de thèmes nietzschéens. Mais derrière la forme hautement polémique, il y a aussi un vrai questionnement. Cet ouvrage nous provoque de fait, si l'on a la sagesse de ne pas répliquer au plan passionnel qui est le sien, à poser la question de savoir ce qu'amour veut dire.Passons tout de suite sur sa première partie, au titre inspiré sans doute par Sils-Maria: «Généalogie de l'acédie» (p. 19-122). C'est une honnête histoire de l'acédie, qui cherche à calibrer l'énoncé de cette «maladie d'amour» entre les définitions d'Évagre et celles de l'Aquinate, nous promenant de l'akédia orientale à l'acedia latine, jusqu'aux rivages des «filles» scolastiques de l'acédie. En se «moralisant», l'acédie a perdu le tranchant qu'elle avait chez les Pères du désert, qui voyaient en elle la démone méridienne par excellence, l'inquiétante étrangeté, le contre-formel de la vie spirituelle. Les spécialistes de la vie mystique diront ce qu'ils pensent de ces pages plutôt bien documentées avec des citations de première main - mais qui visiblement s'embarrassent assez peu de se couler dans les études patristiques et mystiques. Il y a de toute façon une énigme au fait que l'A., qui veut dresser un panorama complet, ne jette pas un regard sur la grande littérature mystique renaissante et moderne, jugeant sans doute que la transformation profane de l'acédie en mélancolie suffit à son propos.La première partie est destinée à préparer le lecteur au thème central: «L'agapè génère l'acédie» (p. 121). C'est ici qu'il faut du coeur pour suivre l'argumentation parfois complexe, aux entrées multiples, qui brouille l'idée au fond assez classique des Lumières selon quoi l'amour chrétien exténue le désir. Il en faut toujours pour suivre l'A. lorsqu'elle canonise, y tenant apparemment beaucoup, l'opposition bien connue que Nygren a tentée entre éros et agapè. Il faut enfin du ventre pour relier tout ceci au combat personnel que paraît mener l'A. contre la théologie paulinienne, accusée comme d'habitude de tous les maux, en particulier celui d'avoir posé les fondements d'un amour qui se passe de désir ou le surmonte.Une question légitime est posée à travers ces pages parfois étranges: qu'en est-il, vraiment, de la relation entre le désir centripète et l'amour centrifuge dans le christianisme? C'est un mystère que l'amour, qui est au centre et qui pourrait seul être digne de notre foi, ait été si peu l'objet de notre théologie qu'il a fallu une encyclique pour relancer le chantier récemment. Un livre comme celui de Madame Luciani-Zidane empêche de refermer tout de suite à nouveau la question, et maintient vif le problème posé: c'est du sel sur une plaie qui ne doit pas guérir, et l'on remerciera l'auteur de forcer à mieux dire l'amour dans lequel se résume la foi chrétienne. Merci donc à l'A. de nous stimuler, et avec quelle vigueur, à redistribuer les motifs et les mobiles, conscients et inconscients, mystiques et conceptuels, d'éros et d'agapè afin de ne pas sombrer dans une acédie théologique qui négligerait son objet le plus propre: «Deus caritas est». - E. Tourpe

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