L'écriture, le verbe et autres essais

F. Rosenzweig
Holy Scripture - reviewer : Bernard Pottier s.j.
«Seul celui qui est profondément convaincu de l'impossibilité de traduire peut s'en charger», car «traduire signifie servir deux maîtres à la fois. Donc: nul ne le peut» (p. 55). Une langue ou l'autre, l'écrivain ou le lecteur? Aussi R. apprécie-t-il cette exergue d'un traducteur de l'Iliade: «Cher lecteur, apprends le grec et jette ma traduction au feu» (p. 153). «Une traduction réussie est celle qui manifeste l'intraductibilité de la langue-source et bouleverse la vie de la langue-cible» (Préface, p. 14).
Ce livre propose une belle préface de l'excellent traducteur (p. 1-18) et treize textes s'échelonnant entre 1921 et la mort de R. en 1929. Un régal pour l'intelligence herméneutique. Il y sera question de la Bible et des langues, de Luther et de Goethe, de Juda Halévi (discussion très technique sur l'accentuation et les rimes de sa métrique hébraïque sépharade) et de bien d'autres, dans un style souvent polémique. Cueillons quelques citations. De Luther, dans sa préface au psautier allemand: il «a laissé du jeu à la langue hébraïque là où elle s'y prend mieux que ne peut le faire notre allemand» (p. 84-85). «Pour l'Église protestante, la traduction de Luther est devenue ce que l'Église catholique possède, dans un vaste système d'institutions: elle est devenue le support de sa visibilité» (p. 64). À propos de Goethe: «Seule la Bible de Luther rendit possible la renaissance de notre langue dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, renaissance sans laquelle, aujourd'hui, notre allemand serait comme l'anglais une langue métissée parmi les langues romanes» (p. 83). «L'entrée d'un peuple dans l'histoire universelle est marquée par le moment où, la traduisant, il s'approprie la Bible» (p. 159).
Les profondes intuitions théologiques ne sont pas absentes: concernant le tétragramme à traduire en fonction du sens de Ex 3,14: «C'est seulement parce que ce te-devenant-présent sera toujours présent pour toi quand tu as besoin de lui ou l'appelles… qu'il est aussi, assurément, le Toujours-étant, l'Absolu, l'Éternel, désamarré de mon indigence et de mon instant, mais à désamarrer pour la seule raison que tout futur instant de tout un chacun pourrait tenir-lieu à celui qui est le mien maintenant… Le nom n'est vivant que d'être prononcé, le vocatif est son unique casus rectus, le nominatif déjà un casus obliquus» (p. 150-151). Pour R., tout langage est traduction de ce roman qu'est l'histoire universelle, chaque langue découvre auprès de l'autre sa propre étrangeté. «À l'écoute de soi toute langue souffre de sa propre schize et s'apaise, se désaltère au contact de la langue étrangère» (Préface, p. 11). - B. Pottier, S.J.

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