L'Herméneutique de l'innovation. Canon et exégèse dans l'Israël biblique, tr. V. Sénéchal et J.-P. Sonnet
B.M. LevinsonHoly Scripture - reviewer : Jean-Louis Ska s.j.
Mais cette innovation ne peut se faire que de manière voilée, c'est-à-dire en affirmant que la nouveauté est fidélité au passé. Dans le monde antique, et pas seulement dans le monde biblique, les traditions sont jugées à l'instar du vin: «c'est le vieux qui est le meilleur» (cf. Lc 5,39). La plupart du temps, cette affirmation de la fidélité au passé cache toutefois une volonté de corriger, d'adapter et parfois même de contredire une tradition vitale pour le peuple d'Israël. L'exemple développé par B.M. Levinson est repris au monde juridique. Il s'agit d'une assertion que l'on trouve dans le décalogue à propos du second commandement et selon laquelle YHWH fait retomber la faute des pères sur les enfants jusqu'à la quatrième génération (Ex 20,5-6). En termes plus techniques, on parle de responsabilité et de punition transgénérationnelle. Certes, toutes les cultures modifient leur droit en fonction des circonstances qui rendent certaines lois caduques et d'autres lois nécessaires. Le problème propre à la Bible est de posséder un droit qui vient directement de Dieu. Et qui peut modifier une loi proclamée par Dieu lui-même? D'où les stratégies interprétatives qui permettent aux sages et aux juristes d'Israël de modifier ce droit en donnant l'impression de ne pas y toucher.
En fin de parcours, comme le montre l'A., c'est la responsabilité individuelle qui est affirmée avec force, p. ex. par Ézéchiel. Mais c'est toujours au nom de la tradition et sous le sceau de l'autorité divine que se fait cette interprétation. B.M. Levinson parcourt avec nous les Lamentations, Ézéchiel, le Deutéronome et il prolonge la démarche par une lecture du Targum sur le même sujet. Le plus intéressant, toutefois, est la façon dont s'opère cette innovation masquée par le respect de la tradition. Il est passionnant de voir, p. ex., avec quelle subtilité les écrivains bibliques emploient les citations de textes antérieurs pour, dans certains cas, les interpréter dans un sens opposé à leur sens originel.
L'ouvrage est accompagné d'une bibliographie commentée sur les ouvrages antérieurs qui traitent de l'interprétation à l'intérieur de la Bible. Cette partie est elle aussi très instructive. J. Wellhausen y côtoie A. Lemaire, M. Greenberg y salue B.S. Childs, E. Otto s'assied à la même table que J.-P. Sonnet, pour ne citer que quelques noms. Le lecteur verra que la méthode illustrée dans ces pages à ses lettres de noblesse. Le volume est muni d'un index des citations bibliques et des autres sources, et d'un index des auteurs. En un mot, c'est une lecture qu'on ne peut que recommander chaudement à quiconque veut lire intelligemment les textes bibliques, en particulier les textes juridiques. - J.-L. Ska sj