Pour nous faire comprendre l'icône de la Sainte Trinité d'A.
Roublev, G. Bunge, ermite bénédictin suisse, doit reprendre
l'évolution des icônes trinitaires depuis les origines chrétiennes.
Nombreuses en effet en ont été les interprétations et ce détour par
la mentalité de l'époque s'avère nécessaire pour fonder une analyse
sérieuse. Dans une image trinitaire, on s'attendrait à trouver
l'illustration du Credo qui place le Père au centre et le Fils à sa
droite. Pourquoi pas ici? Parce que le sens de cette icône a
évolué: d'abord simple représentation de la visite de trois anges à
Abraham (Gn 18), puis préfiguration du sacrifice du Christ (devenu
personnage central) et enfin, au XIIIe s., symbole trinitaire où le
Christ conserve sa place devenue «traditionnelle ». La grande icône
(142x112 cm) d'A. Roublev (1370-1430) fut peinte entre 1411 et 1420
par le moine-peintre pour illustrer la fête de la Pentecôte dans
l'iconostase du monastère de la Trinité fondé au XIVe s. par saint
Serge. Son sens est donc double, pentecostal et trinitaire, car les
Russes fêtent la Trinité à la Pentecôte. Roublev voulut innover
tout en respectant la tradition. Il réussit magnifiquement et
sobrement à exprimer les relations intra-trinitaires de Dieu dans
ses rapports avec nous, tout en signifiant la Pentecôte. Les
personnes, jeunes, ont toutes le même âge, mais les couleurs des
vêtements signalent déjà les différences: pourpre royale pour le
Fils au centre, pourpre claire du Père à gauche et, pour l'Esprit,
vert, qui est la couleur liturgique pentecostale chez les
orthodoxes. Bien que le Fils reste au milieu, la scène est centrée
sur le Père, à notre gauche. Le Fils s'incline vers lui et désigne
l'Esprit avec son index (le second doigt fut ajouté par un
restaurateur); Le Père accepte et envoie l'Esprit en le bénissant
de deux doigts, et l'Esprit s'incline devant le Père pour accepter
(Jn 14,16). Derrière les trois Personnes, le paysage confirme cette
interprétation: la maison du Père (Jn 14,2), l'arbre de la croix,
le rocher (originellement fendu) dont Moïse fit jaillir l'eau (Ex
17; Jn 7,8). La table est devenue un autel avec un calice contenant
une tête de veau, symbole du sacrifice du Christ, et le devant
contient un creux pour les reliques de l'autel; en fait, Roublev
montre la face arrière de l'autel par rapport au peuple. Le succès
de ce chef-d'oeuvre fut tel, qu'en 1551, un concile russe le
«canonisa » en le donnant comme modèle obligatoire pour toutes les
icônes futures sur la Trinité. G. Bunge expose pas à pas son
interprétation en l'éclairant de textes liturgiques orthodoxes avec
photos à l'appui. Le préfacier orthodoxe, S.S. Averintchev, avoue
que ce livre est le meilleur ouvrage sur la question et s'étonne
qu'un moine catholique ait si bien perçu l'âme orthodoxe russe et
son contexte historique. Cet éloge doit nous suffire pour
recommander cet ouvrage. - B. Clarot, S.J.