Selon l’excellente formule d’É. Fouilloux, « la crise moderniste constitue la matrice intellectuelle du catholicisme contemporain ». Les actes de ce colloque en sont une illustration parmi tant d’autres : les auteurs ont voulu revisiter principalement les positions de personnages qui ont joué un rôle important dans cette crise (Tyrrell, Blondel, von Hügel, Laberthonnière, Guitton, Jean Anglès d’Auriac, Nabert, Teilhard de Chardin), et ainsi mettre en évidence les « restes », non négligeables, qui influencent encore et toujours la vie de l’Église Une question se pose quand même en fin de lecture : n’aurait-il pas été utile d’approcher pas uniquement des condamnés, mais aussi l’un ou l’autre condamnant, quête sans doute plus difficile à honorer dans la mesure où les archives de ces critiques ne sont pas toujours aisément accessibles et dès lors exploitables au mieux ?

Sans aucunement nier la valeur des autres interventions, deux d’entre celles-ci me semblent devoir retenir l’attention. Celle de Guillaume Cuchet : « Relire l’encyclique Pascendi. Réflexions sur l’“invention” du modernisme. » On sait que, en particulier depuis l’ouvrage de P. Colin, L’audace et le soupçon (1997), il est devenu un lieu commun selon lequel le modernisme est une « invention » de Rome (encore faut-il préciser que cette position a aussi été adoptée avant P. Colin ; en son temps déjà, Mgr Duchesne était persuadé que Pascendi avec créé un fantôme…). G.C. montre, si on peut s’exprimer de la sorte, que Pascendi avait vu juste sur certains points et que les positions défendues par certains « modernistes » – ou supposés tels – pouvaient, si on les poussait jusque dans leurs derniers retranchements, aboutir à ne plus être catholiques. Pour ma part, je pense qu’il y a une position un peu différente : Pascendi ne serait-elle pas plutôt à considérer comme le seul traité systématique du modernisme, et que dès lors Rome prit le risque de voir d’aucuns considérer ce système comme une invention ? En outre, en fin de communication, G.C. pose la question de savoir si la crise des années qui suivirent Vatican ii n’est pas une crise qui s’inscrit dans la ligne de celle que Pascendi voulut juguler. Voilà qui irait bien dans la ligne de ce qu’écrivait É. Fouilloux. Et cela paraît tout à fait plausible : il me semble assez bien avéré que la forme de critique mise en branle par les « sciences humaines » qu’étaient notamment la philosophie et l’histoire, à l’époque moderniste, s’est précisément étendue à toutes les sciences humaines de notre époque (cf. e. a. les travaux de Denis Pelletier).

L’autre contribution particulièrement intéressante est celle de J.-M. Donegani : « La crise moderniste parmi les crises de la modernité. Le modernisme dans les débats récents entre modernité, postmodernité et ultramodernité ». Cette communication déroutera sans doute le lecteur, d’autant que l’A. met en scène deux entités bien différentes : la société en général et l’Église. Sans entrer dans le détail (en particulier sur la séquence « modernité-postmodernité-ultramodernité »), on peut souligner que l’A. met notamment en exergue le fait que, à l’époque du modernisme, l’Église vit s’infiltrer en elle la « modernité », considérée comme un progrès, et un progrès bon, c’est-à-dire des éléments étrangers au contenu de sa foi, et qu’avec le temps, le fossé a grandi entre l’ « objectif » de la foi de l’Église et le « subjectif », c’est-à-dire ce que j’appellerais l’« appréciation personnelle » du croyant, ce qui n’est évidemment pas sans poser question à l’institution ecclésiale. Je me pose dès lors la question : n’assiste-t-on pas en réalité à une « résurrection » du libéralisme le plus pur en ses origines, dans toutes les composantes de la société, toutes tendances idéologiques confondues ? — B. Joassart s.j.

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