Permettra-t-on à un non spécialiste de signaler l'intérêt
considérable de ce «petit grand» livre d'Antoine Vergote? Nous ne
sommes pas en mesure d'évaluer cliniquement l'hypothèse (qui
s'avère au fil de la lecture comme sérieusement fondée
psychanalytiquement) qui postule l'origine très précoce de cet
effondrement souterrain à cet autre «moment» de crise du sujet
qu'est l'«éblouissement» de l'adolescence. Origine enfouie donc,
non seulement pré-oedipienne, mais encore échec précoce de ce
travail d'obscure mémoire, où les premières perceptions, les
premières idéations se réfèrent habituellement à la «réalité» de
l'environnement physique et de son écologie, à la bonté prévisible
ou non de l'espace affectif encore indifférencié - captivé qu'il
est encore par la mère seule - bref, référé à un «monde» extérieur
et suffisamment bienveillant. Cette précocité de la «schize» se
vérifie en tous cas dans l'absence dramatique d'un «ego», ou plutôt
de son clivage, qui rend le travail d'analyse extrêmement long et
psychiquement onéreux - l'absence du «moi» (au sens psychanalytique
du terme) empêchant les diverses relations humanisantes de se
former. Le verbatim de ces analyses (et on ne peut qu'admirer la
retenue et l'ascèse de l'écoute ici convoquée), de leurs avancées
et de leurs reculs permet alors à notre auteur de rendre compte de
ce combat où l'analysant et l'analyste sont engagés dans une sorte
d'instauration, pratiquement ab ovo des grandes dimensions
anthropologiques struc-turantes de l'existence heureuse d'un «je»
qui progressivement oeuvre à «se chercher en s'exprimant», «se
reconnaître comme personne» en renonçant à «être tout ou rien». Il
faudra, pour cela, «identifier la temporalité», «revenir à l'ego
énigmatique», «devenir disponible pour les expériences affectives»,
«consentir à la temporalité de l'existence», enfin «entrer dans
l'histoire personnelle et relationnelle de l'existence limitée».
Cela, au terme heureux de cette «entre-prise», demandera encore une
élaboration prudente de la rationalté philosophique,
anthropologique, articulant le corps, l'affect et l'ego enfin
apprivoisés et réconciliés. C'est ici aussi que le lecteur sans
expertise autre que sa propre expérience d'humanité trouvera la
récompense de sa lecture, qui n'est pas sans peine, et jouira par
surcroît d'une confiance renouvelée en sa propre aventure. - J.
Burton sj