La Trinité et la famille : quelle analogie ? Étude historique
Lionel Gendron p.s.s.Theology - reviewer : Charles Scrive f.m.j.
L’étude historique proposée par Lionel Gendron, évêque émérite de Saint-Jean-Longueuil et sulpicien, vise à analyser avec méthode les évolutions de l’analogie trinitaire de la famille humaine. La 1re étape consistait à identifier les matériaux d’origine de l’analogie ainsi que le processus probable de sa genèse au ive s. Il fallait attendre en effet la clarification de la personnalité de l’Esprit et l’émergence de problématiques théologiques relatives à l’unité trinitaire pour que des auteurs comme Éphrem le Syrien puis Grégoire de Nazianze et Didyme d’Alexandrie émettent les premiers éléments de cette analogie typiquement familiale. « L’analogie ne s’est point structurée à partir d’une spéculation sur le principe de l’humanité homme et femme féconds, créés à l’image et à la ressemblance du Dieu Trinité. Elle s’est construite plutôt en intime relation avec les récits de la création de la Genèse et sous l’influence de la pensée de l’Église en constante évolution » (p. 76). En lien avec la dogmatisation de Nicée, l’analogie a connu une phase christologique puis, en écho à la dogmatisation de Constantinople en 381, elle a traversé une phase pneumatologique et trinitaire que l’on retrouve de façon consistante dans le ve Discours théologique du Nazianzène.
L’A. interroge ensuite les Pères grecs de la zone d’influence cappadocienne (de Théodoret de Cyr à Jean de Damas) pour constater finalement qu’elle demeure inchangée et consacrée orthodoxe par ce dernier au viiie s. l’A. se tourne ensuite vers l’Occident, en particulier vers Augustin dont le rejet de l’analogie familiale explique en partie sa quasi-absence dans cette ère culturelle. Le rejet d’Augustin n’est pas dû à une crainte de l’hérésie eunoméenne (qui refuse la divinité du Fils sous prétexte qu’il ne serait pas engendré de la nature du Père), mais au fait que les arguments et principes exégétiques sont selon lui trop faibles et relatifs, car toujours perfectibles. Néanmoins Augustin propose « une nouvelle analogie trinitaire sociale, interpersonnelle et ecclésiale, dont l’expression privilégiée est la famille » (p. 141). Il faut attendre le xiie s. pour voir réapparaître cette analogie transformée et dotée d’une mission renouvelée sous la plume de Richard de Saint-Victor qui propose une restructuration de l’analogie qui intègre l’ordre processionnel en écho aux querelles sur le Filioque. Un siècle plus tard, chez les grands maîtres que sont Bonaventure et Thomas d’Aquin, on arrive à une analogie sociale typiquement familiale de sorte que « dans la Trinité comme dans la famille, non seulement tout est communion et tout est personnalisant puisque l’Amour en constitue le substrat mais aussi l’Esprit, tout comme l’enfant, est l’amour hypostasié » (p. 199). Cette évolution permet de mettre en évidence le caractère personnel et interpersonnel de l’Amour qui est l’Esprit. Au début du xxe s., grâce à Scheeben qui bénéficia du retour aux sources bibliques et patristiques, l’analogie trinitaire typiquement familiale fut remise à l’honneur pour manifester par l’unité du genre humain l’Unité du Dieu Trinité.
Au terme de cette traversée historique, l’A. nous livre quelques caractéristiques fondamentales. Cette analogie est tout d’abord traditionnelle au sens où elle s’inscrit dans l’Écriture et les différentes traditions de l’Église au cours des siècles. Elle est aussi très actuelle : à l’heure des bouleversements sociaux liés à la parentalité, l’humanité homme-femme-enfant pourrait ainsi redécouvrir son propre mystère et sa vocation plénière. Enfin, comme toute analogie, elle sera régulièrement problématique. Ceci oblige l’A. à préciser quelques constantes pour la maintenir en travail. Parmi elles, retenons la double structure de cette analogie qui est apparue au fil des époques et des cultures de forme typiquement familiale (en Orient) ou de forme typiquement sociale (en Occident). Notre changement d’époque semble appeler une troisième visée : la pensée ecclésiale contemporaine exige de considérer l’humain comme être de relation avec Dieu et les autres, avec lui-même et le monde. L’analogie pourrait ainsi intégrer les notions d’interpersonnalité et d’intersubjectivité ce qui permettrait de déployer une anthropologie trinitaire de la famille. — C.S.