Le désir d'authenticité. Walter Benjamin et l'héritage de la Bildung allemande
M. PullieroPhilosophy - reviewer : fr. Jérôme
Son oeuvre philosophique appartient à l'esthétique et à la critique: L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (1935); traduction et commentaires de Beaudelaire, mais aussi à la théologie: Thèses sur la conception de l'histoire, d'inspiration messianique. Quelques-uns de ses ouvrages ont été traduits et français. On peut à juste titre le considérer comme l'initiateur de la critique moderne.
W. Benjamin continue d'intéresser son public: après une première vague de réception enthousiaste et une seconde plus critique, nous assistons à une troisième, dominée par des études de style académique, universitaire, détaillé et serein. L'A. de ce gros volume, diplômé de Venise et de Sorbonne, justifie pleinement ce que le lecteur attendrait d'un «historien et philosophe, spécialiste de l'Allemagne wilhelmienne». Il consacre son effort à la présentation de Benjamin dans le contexte de l'époque qui l'a vu naître, et ce déchiffrage transforme notre regard sur les textes postérieurs connus. Les grandes questions de Benjamin sont saisies comme annoncées et préparées par l'âge wilhelmien: l'identité d'un juif allemand, sa relation double à l'héritage de l'assimilation et au défi du sionisme naissant (chap.2); les recherches d'une forme d'activité appropriée à la tâche de «rendre aux jeunes leur jeunesse» (qui engage toute une histoire de réforme de l'éducation en Allemagne: chap.3, 4 et 5); ensuite viennent le religieux (chap.6), la communauté (chap.7), l'histoire (chap.8), l'expérience (chap.9).
Ces éclaircissements sont aussi précieux pour la tâche proprement biographique. Même s'il s'agit plutôt d'un projet décrivant la genèse du phénomène culturel «Walter Benjamin», il serait intéressant d'analyser comment pareille biographie correspond à la conception de l'histoire préconisée par Benjamin, et quels correctifs l'A. apporte à cette vision, par cette pratique même. Dans les meilleurs chapitres du livre - tel le premier, sur «l'enfance berlinoise» -, la technique si benjaminienne du montage produit une «image dialectique» de Benjamin lui-même, et une image très différente de celle qu'il aurait voulu se donner. Cela montre que ce procédé réussit souvent mieux lorsqu'il prend Benjamin comme objet plutôt qu'en ses propres mains. Mais tous les chapitres du livre n'ont pas le même degré d'unité. Parfois le lecteur croit lire un simple dossier (toujours intéressant et précis, mais souvent touffu). On peut regretter aussi la mise en page peu commode, avec deux séries séparées de notes, qui fatiguent inutilement le lecteur.
C'était sans doute un pari: présenter une figure aussi manifestement extraordinaire que Benjamin comme typique de son temps. On peut se demander si cette équivoque ne se laisse pas lire dans le titre même du livre: le mot «authenticité», si représentatif de l'époque, frappe comme singulièrement non benjaminien: à une seule exception près, il vient toujours sous la plume de l'A., jamais dans les citations de Benjamin. Quand on sait la fortune que ce mot a eue chez Heidegger, on ne peut qu'être reconnaissant à l'A. de nous restituer la matrice commune à des penseurs si opposés, rendant ainsi très compréhensibles et fort révélateurs leurs points de proximité involontaire. Ce livre est à recommander, mais de préférence à des lecteurs déjà bien familiarisés avec l'oeuvre de Benjamin. - Fr. Jérôme osb