L'A. prend donc pour objet de son étude le christianisme, non pas comme foi ou religion, mais dans le système doctrinal et moral où le magistère romain contemporain l'exprime. Il y a donc, cela étant, une opposition totale entre la «modernité», où l'action humaine est affranchie de toute tutelle théologique, et une pensée religieuse qui précisément affirme une telle tutelle. Pour éclairer ce conflit doctrinal, l'A. a donc dû évaluer les critiques théologiques et métaphysiques que le magistère romain oppose à la philosophie occidentale de ces derniers siècles.
Même si des théologiens chrétiens ont pu pour leur part interpréter, voire relativiser certains textes de l'Écriture et certaines positions classiques, le propos de l'A. est de les laisser ici de côté. Son but, en effet, est de «voir comment le magistère romain contemporain… a intégré des positions parfaitement traditionnelles, pour ne pas dire conservatrices, dans son corpus doctrinal». Par souci d'objectivité, l'A. reproduit un nombre important de textes avec les références et les annotations nécessaires, à l'appui de ses propres interprétations.
Il concentre essentiellement ses analyses sur la liberté et l'autonomie de la raison humaine. Á son avis, il est incontestable que pour le magistère romain, si Dieu n'existait pas, tout serait permis. D'ailleurs le magistère va encore plus loin en affirmant que puisque tout n'est pas permis, Dieu existe. Dieu est le fondement absolu de la morale, ou alors il n'y a pas de morale. Entre la foi et la raison, il ne peut y avoir de conflit. Mais justement la modernité pose les questions: quelle raison? quelle philosophie? Pour l'Église, il n'y a de philosophie authentique que soumise à la foi. Pour la modernité, la philosophie n'a cessé de proclamer sa volonté d'émancipation face à toute autorité et à toute tradition.
L'Église rejette le pluralisme idéologique et éthique alors que la philosophie moderne est essentiellement plurielle et se refuse à tout absolutisme. Sans mettre en évidence d'éventuels conditionnements «politiques» de l'attitude de l'Église, l'A. y voit surtout une logicisation excessive de l'expérience humaine. En effet, le magistère a, selon lui, subordonné la réflexion au seul principe logique de non-contradiction, dégageant ainsi sa doctrine du critère de l'expérience. Ceci explique «l'intempérance théorique du magistère romain» notamment au plan de la morale. Et s'explique également la distance que désormais sépare le message biblique et apostolique, surtout en matière morale, de la modernité, faisant que la doctrine magistérielle n'est plus audible aujourd'hui.
À notre avis, pareil ouvrage mérite notre plus diligente attention. N'a-t-on pas confondu l'absolu et l'universalité des valeurs pour lesquelles milite l'Église avec la généralité de la loi? Là où le «relativisme» doit, évidemment, être rejeté, ne faut-il pas tenir compte de la «relativité» qu'impose l'expérience? Il faudra un jour au magistère le douloureux courage d'aborder ces questions, sans se contenter, face à la rigidité de ses normes, morales et canoniques, de ne trouver d'issue que dans le seul discours de la miséricorde. - H. Jacobs sj