Dans ce nouvel ouvrage, Dan Jaffé continue à creuser son sillon
(voir NRT 134, 2012, p. 284-289) :
l'histoire du début de notre ère et de la séparation entre juifs et
chrétiens. L'ouvrage en quatre sections se compose de dix-sept
études (dont 8 inédites). Hormis la cinquième section
(« Judaïsme médiéval et islam ») nettement hors-cadre, le
reste constitue un dossier unifié autour de ce qu'on a pris
l'habitude de nommer the parting of the ways. La
première section (« Le judéo-christianisme dans la littérature
talmudique ») aborde cette question de la séparation du point
de vue des sources talmudiques en étudiant, d'une part, des
traditions concernant Rabbi Eliézer ben Hyrcanos et sa probable
attirance pour le judéo-christianisme et, d'autre part, les traces
d'une éventuelle connaissance, chez les Tannaïm, de
l'évangile de Mt. À travers ces témoignages sur la manière dont les
sources juives anciennes se représentent le christianisme apparaît
l'enjeu crucial de la formation d'une identité qui se construit
dans un jeu complexe de séduction et d'opposition. Dans la seconde
section (« Talmud, christianisme et judéo-christianisme.
Histoire d'une polémique »), l'A. illustre, grâce à quatre
éclairages différents (le Dialogue avec
Tryphon de Justin, la circoncision chez Ignace
d'Antioche, la Birkat ha-minim, la pratique de
guérison par la salive), comment toute polémique et toute
réfutation présupposent toujours un terrain d'entente et la
reconnaissance de valeurs communes. La troisième section
(« Judaïsme ancien. Texte et contexte ») explique
pourquoi, après la destruction du temple, les idées de
« martyr », de « messianisme » et de
« rédemption » furent en quelque sorte
« neutralisées » par les Sages au profit d'une vision
plus rationalisante et halakhiquement unifiée de la religion, et
cela afin d'éviter toute exaltation incontrôlée et potentiellement
génératrice de nouvelles catastrophes. La quatrième section
(« Études historiographiques ») permet à l'A. de conclure
prudemment : « Il semble (…) que le Parting of
the ways est la conséquence du discours des élites (…).
Ce sont les dirigeants des deux communautés (…) qui engendrèrent un
processus qui - de leur point de vue - se clôture
au iie siècle. Ce processus témoigne à n'en
pas douter d'une volonté édificatrice ; il s'agit en effet de
construire et de marquer les frontières de l'identité. Est-ce à
dire que ce processus fut entendu et appliqué par les communautés
juives et chrétiennes ? Rien ne permet de l'assurer »
(p. 443). Pas sûr non plus que le débat historique soit clos.
- D. Luciani