La question de l'interprétation s'inscrit dans le contexte plus vaste d'une réflexion sur la vision du monde propre au croyant: l'herméneutique de Guardini est une herméneutique théologique. Rilke ou Shakespeare posent des questions au croyant et celui-ci doit à la fois se laisser interroger par eux et les questionner en retour. «Celui qui interprète essaie d'éclaircir à sa façon ce qu'un autre a élaboré à sa manière». Ceci implique, d'une part, la plus grande attention à la lettre et, d'autre part, la perception de la polyvalence du symbole poétique. La poésie, précisément, est à la fois énonciation et expression; elle est d'autant plus parfaite que la forme en exprime le fond et que le fond se manifeste dans l'épiphanie de la forme. Tout le travail du lecteur - critique ou non - vise à découvrir la vérité enclose dans le texte, car cette vérité ne peut se dire que dans le nécessaire rapport du texte à son lecteur. Comme le souligne Rilke, un des auteurs de prédilection de Guardini, il y a une vérité du texte qui s'étend infiniment au-delà de l'auteur. Son écoute requiert de la part de l'interprète un respect infini et une profonde sagesse.
Le langage religieux, qui fait l'objet du premier chapitre, possède de nombreuses affinités avec le langage poétique. À l'instar de ce dernier, il demande une écoute attentive, capable de discerner l'expérience dans laquelle il s'origine, tout comme de goûter la richesse du jeu des symboles transfigurés. Plus encore, il «ouvre» et donne de pressentir au coeur du monde qu'il critique, relativise, mais aussi magnifie, la présence numineuse de l'Autre qui l'habite. - Fr. Vermorel.