Dix ans après son ouvrage controversé sur Jésus, l'A. nous en offre un autre, aussi intéressant par son propos, qui est de nous faire découvrir la «vérité» sur «la femme la plus célèbre de toute l'histoire du monde» (p. 9), mais aussi décevant par le résultat qu'il livre au grand public. Il est vrai que la conjoncture joue en sa défaveur: au moment ou le Da Vinci Code de Dan Brown et La Passion du Christ de Mel Gibson déstabilisent pas mal de croyants incapables de distinguer le roman ou l'illusion de la réalité. La médiatisation exploite la crédulité populaire et, sous prétexte de rationalité, verse fatalement dans l'irrationnel. Quête légitime, mais qui ne rejoint pas l'évangile!Nous ne doutons pas de la sincérité de l'A., journaliste et écrivain de renom, collaborateur du journal La Croix et auteur de nombreux essais, dont plusieurs consacrés à de grandes figures féminines de l'histoire. Mais toucher à Marie représente un défi majeur, que l'A. a relevé avec courage et maladresse. En journaliste de talent, il s'est documenté intelligemment, assez en tout cas pour paraître «scientifique». En bon journaliste encore, il nous représente les états d'âme de Marie, comme s'il en avait été le confident. Et tout ensemble, il travaille en historien critique, discutant les avis des théologiens et des exégètes avec sérieux; mais il glisse subrepticement d'un niveau à l'autre de compréhension du texte, entre histoire, mythe, position théologique, expérience spirituelle, dévotion populaire, fiction.
Or, déjà les Pères de l'Église nous enseignaient que «toute é/Écriture doit être lue dans l'esprit avec lequel elle a été rédigée». Mais quel sens de «l'histoire» a l'A.? Et quel est celui de son lecteur? En voulant faire «exact», l'A. réduit l'expérience spirituelle - tant de Marie que des croyants de toute la tradition chrétienne - aux éléments repérables dans le temps et l'espace. Les travaux actuels sur les évangiles apocryphes devraient le rendre attentif à la difficulté de son propos. Et s'il avait lu le simple et beau livre de Marie-Jeanne Bérère (Marie… tout simplement, L'Atelier, 1999), professeur de théologie à Lyon, il aurait évité quelques erreurs, plusieurs bévues et de nombreuses incompréhensions. Dès lors, ce livre entretient un malentendu sur ce qu'est la «vérité» de l'histoire sacrée, qui ne recouvre pas «l'exactitude matérielle» des faits, mais qui s'efforce de comprendre et d'exprimer le dialogue intérieur des personnes avec Dieu.Parler de Marie engage à la sobriété, ce que n'a pas toujours fait la dévotion mariale dans ses outrances affectives au long des siècles. Les évangiles canoniques sont discrets, parce qu'ils suggèrent le mystère; les apocryphes, publicistes de leur époque, veulent tout savoir et leur curiosité entraîne celle du lecteur. En outre, parler de Marie fait vibrer en chacun des deux sexes la fibre féminine de son être, et du même coup, sa réplique masculine. D'où le danger d'idéaliser, de romancer, de mythiser. Les évangiles n'ont pas été écrits pour nous informer sur la vie intime, sexuelle ou familiale de Jésus et de Marie. Ils sont l'expression de la foi des premières communautés chrétiennes; les comparer pour en souligner les approximations ou les incohérences relève d'une méprise sur leur genre littéraire propre. Ils nous décrivent des itinéraires spirituels à partir de faits véridiques, mais ils échappent au type de critique à laquelle nous voudrions les soumettre; les exégètes en sont bien conscients. Ainsi s'exprime M.-J. Bérère dans le livre cité supra: «Une transformation en histoire de Marie des déclarations dogmatiques au sujet de la conception et de l'enfantement de Jésus a suscité des affirmations dont certaines frôlent l'indécence… De nombreux mariologues ont été conduits à imaginer sans fondement l'intimité personnelle et la psychologie de la mère de Jésus» (p. 93)
Certes le but de l'A. était de comprendre Marie dans sa «vérité», et de la débarrasser de tous les oripeaux dont on a souvent affublé sa mémoire dans un imaginaire de mauvais aloi. Mais son mystère propre, et par le fait même celui de la féminité, et finalement celui de toute personne humaine dans ce qu'elle a d'inviolable, se trouve réduit à rien. Autant une saine critique est nécessaire pour ne pas nous laisser abuser, autant une médiatisation outrageuse détruit la vérité profonde de l'être. Les lecteurs du livre de J. Duquesne, provocant par certains côtés, seront déçus, à moins qu'ils n'y trouvent de quoi critiquer davantage encore la foi chrétienne.- J. Radermakers, S.J.

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