Métaphysiques. Le sens commun au défi du réel

Jean-Marc Ferry
Philosophy - reviewer : Xavier Dijon s.j.

S’il existe, au moins depuis Aristote, une discipline philosophique au-delà (méta) de la physique, quel discours dira la vérité de ce qui se cache derrière les physiques que les savants connaissent aujourd’hui ? Dans le prolongement de son ouvrage précédent Qu’est-ce que le réel ? (cf. NRT 142, 2020, p. 337), Jean-Marc Ferry confronte les affirmations étonnantes (contre-intuitives) des sciences actuelles au sens commun partagé intersubjectivement, pour poser une nouvelle fois la question de ce qui est. Si la matière, selon la physique quantique de Max Planck, dérive de la conscience et si des phénomènes impossibles émanent du monde vécu, l’option positiviste d’un accès cognitif direct au réel n’est plus tenable. Mobilisant à la fois le mécanisme de la rétorsion (où l’objectant confirme, en son objection même, l’affirmation qu’il dénie) et les ressources des diverses grammaires de l’intelligence (iconique, indiciaire, syntaxique, critique) exposées dans ses ouvrages antérieurs, ainsi que la chronogenèse verbale de Gustave Guillaume (théorie de la représentation grammaticale du temps), l’A. montre que nous gardons toujours une perspective sur le réel, lu selon une certaine personne, un certain mode, un certain temps. S’ensuit un combat pour que le monde de la vie ne soit pas régi par l’idéologie de la science qui occuperait tout le terrain de la connaissance, balayant, p. ex., les acquis de la Théorie critique de l’École de Francfort, tels la raison communicationnelle de Jürgen Habermas ou la résonance de Hartmut Rosa. À partir de cet élargissement des grilles habituelles de lecture du réel, l’A. n’hésite pas à plonger dans l’actualité (française) de la contestation des gilets jaunes ou des controverses quant aux moyens prônés par le Dr Raoult pour lutter contre le coronavirus. En finale, l’A. évoque l’angoisse de la mort et, pour y parer, la disposition pour la vie qui se manifeste, en chaque sujet, par l’ouverture à autrui, l’amour. Il s’agit là d’une confiance absolue dans la vérité de ce que chacun vit, qui comporte sans doute un accent religieux (la religion du Verbe), mais qu’il faut se garder de confondre avec la foi que, p. ex., les chrétiens donnent au Christ. C’est qu’il s’agit seulement d’adhérer « à la relation affirmée pour elle-même, si bien que la divinisation d’une personne, comme la personnification du divin, risque de passer pour de l’idolâtrie » (p. 218). Au total, un livre pas toujours facile à lire mais qui montre que, même en restant résolument en deçà de la foi, la raison est déjà confrontée à son propre mystère. — X.D.

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