Passer le Rubicon. Philosophie et théologie : essai sur les frontières

Emmanuel Falque
Philosophy - reviewer : Emmanuel Tourpe
Conçu comme un « discours de la méthode » de ses précédents ouvrages, ce nouvel opus du philosophe parisien manifeste en réalité moins la « clé » cachée de sa pensée qu'une nouvelle étape dans celle-ci ; le rôle joué par la philosophie médiévale dans l'oeuvre de l'A. n'est notamment pas explicité, tandis au contraire que le quitus donné à une certaine conception de la phénoménologie autrefois pratiquée par lui-même est évident. Cette maturation est opérée à deux niveaux, qui correspondent respectivement à la 1re partie du livre (Interpréter) et aux sections 2-3 (Passer. Décider).
La 1re partie peut être lue de manière autonome. Elle consiste à ouvrir la voie à une phénoménologie de la « voix », triplement inspirée par J.-L. Chrétien, M. Merleau-Ponty (qui compte davantage pour Falque à mesure que celui-ci se rapproche de ses sources spiritualistes) et G. Agamben. Ce que serait une telle phénoménologie de la « voix » reste encore un peu vague et rhétorique mais on voit nettement qu'il s'agit de positionner une herméneutique dite « catholique » entre le « texte » chez Ricoeur et le « corps du texte » chez Levinas (p. 53). L'A. cherche vaillamment à se positionner de manière propre à l'intérieur de sa tradition. La voie (la voix ?) qu'il indique est stimulante, quoique encore confuse, et n'inquiète légèrement qu'à proportion de son refus répété de la « médiation ». On aurait aimé voir quelques références à L. Lavelle (La parole et l'écriture) et G. Siewerth (Ontologie du langage) dans cette réflexion naissante, qui pourrait mieux s'articuler aux travaux actuels de philosophie analytique - au risque sinon de rester incantatoire.
La 2de partie est d'un très grand intérêt. Elle consiste à montrer comment l'A. conçoit la transition de son univers phénoménologique à la théologie. La réponse est dans le « tuilage » (p. 149), correspondant à un véritable complexe dans lequel l'acte de décision humaine, expérientiel, est soutenu de l'intérieur par la proto-action de Dieu. La main tendue à la métaphysique en fin de volume est inévitable dans une pensée qui désormais s'ouvre par elle-même à une pensée des « causes secondes » (p. 142). On appréciera à sa juste mesure l'insistance de Falque sur l'acte de « décider » qui lui permet de prendre du champ par rapport à la « passivité » phénoménologique ambiante. Sur le plan théologique, Falque tente de mobiliser à la fois le potentiel crédentiel d'une herméneutique de la finitude, sur les pas de Rahner, et l'actualisation de la foi par Dieu lui-même dans les traces de Balthasar.
Bien que la pensée de Falque reste encore sur bien des points programmatique, car tout n'est pas encore bien coordonné dans cet ensemble brillant d'intuitions, la vision systématique à l'arrière-plan et le sérieux effort de pensée organisatrice sont de très belle facture. Ce livre représente un véritable effort philosophique dont il faut saluer le courage, l'originalité et désormais une vraie maturité. - E. Tourpe

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