«Quel est le pouvoir des religions? Quelle est sa spécificité? Comment se situe-t-il par rapport à d'autres formes de pouvoir?». On ne peut que féliciter les responsables de l'École des sciences philosophiques et religieuses des Facultés Saint-Louis, de Bruxelles, d'avoir organisé le séminaire pluri-religieux qui, en 2003, a affronté ces questions d'une brûlante actualité. Elles avaient d'ailleurs été implicitement posées en ces termes par la recommandation 1202 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe: «La religion n'est pas seulement une affaire de relation enrichissante d'un individu avec lui-même et avec son Dieu. Elle est aussi une affaire de relation avec le monde extérieur et la société».
Dans une première partie, les experts invités à ce séminaire ont abordé cette question chacun selon son appartenance. Le rabbin David Meyer le fait en soulignant toute la difficulté que représente la pratique du pouvoir pour le judaïsme d'aujourd'hui, surtout depuis la fondation de l'État d'Israël. Dans son exposé à la fois ouvert et nuancé, le théologien dominicain Chr. Duquoc analyse la manière dont, au sein du catholicisme, la question s'est historiquement posée, puis s'est considérablement nuancée, notamment à la faveur d'une référence plus attentive aux témoignages prophétiques de l'un et l'autre Testaments, et surtout en ce qui concerne «la conversion à l'image de la relation de Jésus au pouvoir».
On comprendra que l'exposé sur l'Islam et le pouvoir soit le plus long (23 p.) et le plus complexe. Il se conclut toutefois par un engagement explicite et courageux de l'intervenant tunisien, Mohamed Charfi, en faveur d'une évolution démocratique, qu'il juge toutefois «inconcevable dans un État théocratique». L'exposé sur l'Orthodoxie du Prof. J. Gueit est le plus bref de la série, mais il situe bien la spécificité de cette Confession, sans cependant en situer suffisamment, à notre avis, les spécificités. En introduisant son intervention, le Prof. Anna-Marie Reijnen, de la Faculté de théologie protestante de Bruxelles, propose que le binôme «religion et pouvoir» accueille de manière explicite un troisième terme: «vérité». En effet, si «la religion emprunte au politique le désir de pouvoir, le politique emprunte au religieux sa passion de vérité (qu'il appellera justice)». Le discours religieux peut donc se muer en discours de pouvoir quand il prétend détenir, à côté des autres, mais le plus souvent contre les autres, l'exclusivité de la vérité.
L'A. en examine avec perspicacité bien des vérifications historiques, y compris dans le protestantisme. Et comme le P. Duquoc, elle souligne que les «écritures saintes» ne sont pas univoques: «On y rencontre des affirmations triomphalistes à côté d'intuitions qui brisent ces prétentions». Enfin, le «point de vue laïque», présenté par M. G. Liénard, Secrétaire général de la Fédération humaniste européenne, qui fait état de certaines positions convergentes de laïques et de croyants, contribue en ce domaine à d'utiles clarifications. On y relève malheureusement certaines confusions, fréquentes chez certains, entre des prescrits supposés religieux et des options d'ordre anthropologique en ce qui concerne l'éthique (contraception, avortement, mariage homosexuel, insémination artificielle, etc.). C'est, par exemple, un biologiste non-croyant, le Prof. Axel Kahn, qui intitulait un de ses ouvrages: «Et l'homme, dans tout ça?».
La seconde partie de ce volume est consacrée à l'examen en 2004, lors d'une autre session du même séminaire, et par les mêmes intervenants, d'une réalité à la foi séculaire et, dans certains cas, toujours contemporaine: «les religions face à leurs fondamentalismes et intégrismes». Relevons-y quelques caractéristiques: 1. L'ingéniosité déployée (à juste titre?) par le rabbin Meyer dans l'exégèse de certains textes et de leur interprétation talmudique. 2. Les ressources d'une «thérapie pastorale et théologique de l'intégrisme», déclaré ou rampant, dans le catholicisme, proposée par le P. Duquoc. Il situe notamment en ces termes la référence à l'Écriture: «Elle n'est pas Dieu se donnant en évidence. Elle est une parole humaine habitée par une Parole transcendante». Ces pages méritent, à notre sens ,d'être largement diffusées, notamment pour la manière dont elles situent «la foi comme obscurité féconde».
3. La radicalité du diagnostic formulé par l'écrivain tunisien Malek Chebel en ce qui concerne le fondamentalisme musulman du XXIe siècle. 4.La mise en garde du Prof. J. Gueit contre les «attitudes intégrisantes» que suscite dans l'orthodoxie «cette certitude d'être gardienne de la vraie foi». 5. L'exposé, admirablement documenté, tant historiquement que théologiquement, d'Anne-Marie Reijnen sur le protestantisme et son fondamentalisme dont nous ne connaissons pas actuellement d'équivalent.
6. Tout en regrettant, ici encore, la confusion entre présupposés religieux et questionnement éthique (celui-ci étant trop complaisamment qualifié d'«intégrisme»), on rejoint sans réserve le Prof. Liénard lorsqu'il conclut: «On ne peut que souscrire à un fondamentalisme bien compris qui consiste en une réflexion critique sur les fondements». - P. Lebeau sj

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