Le Seder Eliyahu (ou Tanna devei Eliyahu) dont il est
question ici est un texte juif dont la nature (midrash ou
aggada éthique, oeuvre semi-midrashique, traité moral exotérique,
etc.), la date (entre le iiie et
le xie s., avec, aujourd'hui, une nette
préférence pour le ixe s.) et le lieu de
composition (Palestine, Babylonie, Italie, etc.) ont déjà été
âprement discutés. Le fait qu'il soit, en outre, composé de deux
parties distinctes et assez différentes l'une de l'autre (Seder
Eliyahu Rabbah et Seder Eliyahu Zuta) ne facilite pas sa perception
et la compréhension de son objet. Enfin, il présente quelques
caractéristiques particulières qui le distinguent de la littérature
post-talmudique classique et qui en font une oeuvre sui
generis. Parmi ces traits, l'un des plus remarquables est sans
doute l'usage de la première personne (le « je » du
narrateur), forme inhabituelle du discours narratif dans la
littérature rabbinique. Un autre est la présence assez massive de
paraboles (70) remplissant une fonction illustrative et rhétorique.
Ces caractéristiques et bien d'autres avaient déjà été repérées
depuis longtemps par nombre de savants. Mais là où Cordoni
manifeste son originalité et sa nouveauté, c'est qu'elle applique
une méthodologie associant étude littéraire des textes rabbiniques
et pratique de la narratologie sur une source qui n'est pas une
fiction narrative. Il suffit de citer Strack-Stemberger à propos de
cette même oeuvre pour mesurer le chemin parcouru et le changement
de paradigme : « Rares sont les textes rabbiniques
tardifs, tels SER [Seder Eliyahu Rabbah] qui se réfèrent à
d'authentiques personnalités d'écrivains dont l'intention se
détache sans grandes difficultés de la tradition. C'est la raison
pour laquelle c'est précisément un travail sur SER qui a le mieux
appliqué la méthode de l'histoire rédactionnelle à un texte
rabbinique » (H.L. Strack,
G. Stemberger, Introduction au Talmud et au
Midrash, Paris, Cerf, 1986, p. 82). Quoi qu'il en soit,
une telle étude représente une avancée certaine dans notre
connaissance de cette période capitale dans l'histoire juive qui
marque la transition entre le monde rabbinique de la tradition et
celui, inauguré par Saadiah Gaon, d'oeuvres clairement attribuées à
des auteurs individuels. - D. Luciani