Sous les remparts de Chersonèse

S. Boulgakov
Œcumenism - reviewer : Paul Lebeau s.j.
Ce livre, que l'A., le célèbre théologien russe Serge Boulgakov, a finalement choisi de ne pas publier, mais qui a été conservé dans les archives de l'Institut Saint-Serge, à Paris, jusqu'en 1991, est surprenant à plusieurs titres. Il a été rédigé à Yalta, en 1922, sous la forme d'un dialogue, souvent orageux, et manifestement inspiré par des débats bien réels, entre quatre protagonistes: un «réfugié», un «théologien laïc», un moine et un prêtre de paroisse, dont le premier et, plus épisodiquement, le quatrième, servent de porte-parole à l'auteur.
C'est symboliquement à Chersonèse, où saint Vladimir, le «Clovis russe», reçut le baptême en 988, qu'il situe cette longue et ardente discussion. Installé à Paris, il écrira plus tard que ce long texte reflète ce qu'il qualifiera de «tentation catholique», en présence de la vulnérabilité de l'Église orthodoxe russe face à la persécution dont elle était l'objet après la victoire des bolcheviks. Ainsi que l'observe l'éditeur et traducteur, Boulgakov était loin d'être le seul à connaître cette «tentation». Bien des intellectuels russes de l'époque, et cela dès avant la tourmente révolutionnaire, s'étaient rapprochés de l'Église catholique, ou y avaient même adhéré, notamment sous l'influence de Vladimir Soloviev.
Ce sont d'ailleurs les écrits de ce dernier qui inspirent à Boulgakov sa critique sévère de la «gréco-russité», qui, constate-t-il, a «divisé l'Église en deux». Comme lui, et à l'encontre du messianisme des «slavophiles», il défend la «conception universelle, catholique, supranationale et véritablement conforme à l'Esprit de l'Église contre l'hérésie nationalisante de la Troisième Rome». Il revendique dès lors l'oecuménicité du Concile d'union de Ferrare-Florence et sa reconnaissance de la primauté romaine (p. 167-183). Le «réfugié» ne cesse, ce faisant, de se heurter à l'intransigeance agressive de ses contradicteurs, dont le «moine» selon lequel «les catholiques sont pires que les nihilistes, comme un démon qui prend les dehors d'un ange de lumière est pire qu'un diable avec cornes et queue». Quant au «théologien laïc», il qualifie les «innovations catholiques» d'«hérésies» et de «blasphèmes», et pourfend «l'asservissement jésuitique des âmes et des coeurs».
On comprend dès lors que le «réfugié» ait quelque raison de déplorer que «le poison de la papophobie» se soit «insinué si profondément en nous que les esprits les plus éclairés y succombent». Boulgakov ne croyait pas si bien dire, car il fut lui-même gagné par ce complexe anti-romain, lorsque, expulsé de Russie en 1922, il découvre sous la coupole de la basilique Sainte-Sophie à Constantinople, le caractère universel de la Sagesse divine, cette «sophianité» qui inspirera désormais son oeuvre théologique, et qu'il opposera à la «papauté». Entre-temps, il avait également été déçu par ses contacts avec le clergé catholique dont il n'appréciait guère les «méthodes missionnaires». On le voit: l'oecuménisme vient de loin. Mais il ne lui est pas inutile de se souvenir des extrémités auxquelles conduisent les affrontements polémiques et l'autosuffisance confessionnelle. - P. Lebeau, S.J.

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