Une anthropologie personnaliste du don. Recherches aux sources philosophiques et théologiques de l’éthique sexuelle, conjugale et familiale
François de MuizonTheology - reviewer : Alain Mattheeuws s.j.
François de Muizon nous offre à la fois le fruit d’une longue recherche (un doctorat à l’Institut catholique de Lyon, un livre antérieur sur Homme et femme, l’altérité fondatrice) et une belle synthèse anthropologique. Ce livre deviendra une référence dans la zone culturelle francophone. Son itinéraire est dense et ample. Il nous mène de la philosophie à la théologie du don, visant particulièrement l’analogie trinitaire de tout amour humain. Ce cheminement ascendant – de la Création à la Révélation trinitaire – présente un réel intérêt dialogal et apologétique.
Les 5 premiers chap. cernent ce qu’est l’anthropologie du don en affrontant la signification radicale de l’altérité des sexes. Donnée à elle-même, la personne se reçoit en son être de sa relation à une Altérité fondatrice première, et elle advient à elle-même en reconnaissant le don qu’elle est et en se donnant librement à autrui durant sa vie. La personne est don pour Dieu, pour soi et pour autrui.
La provocation des Gender studies est abordée brièvement et permet d’entrer plus en profondeur dans la signification originaire de cette différence sexuelle : elle permet une rencontre radicale entre l’homme et la femme et par là avec Dieu. Cette altérité est un indice de l’existence historique d’une transcendance dans la condition humaine. L’A. analyse avec précision et réalisme (chap. 2) les difficultés et objections faites à une anthropologie du don. Différents auteurs (Mauss, Derrida, Marion) sont entendus et enrichissent la réflexion. La sociologie du don de Godbout et la loi du don chez Sagne sont intégrées. La démarche audacieuse de l’ontologie de la personne comme don chez Bruaire est bien rendue : cette petite synthèse de sa pensée difficile est très bien explicitée. Elle sera comme « confirmée » par un chapitre sur l’importance du « don » dans le personnalisme philosophique de Karol Wojtyla.
Le chap. 6 vérifie le tournant conciliaire en présentant la structure ternaire du don et l’analogie trinitaire, particulièrement dans le schéma xiii. L’apport conciliaire est le noyau dur ou la pierre précieuse de toute la réflexion ultérieure. L’influence de Wojtyla est soulignée et le principe fondamental de cette anthropologie théologique est commenté en GS 24, 3 : « Il y a une certaine ressemblance entre l’union des Personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour (caritate). Cette ressemblance montre bien que l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même (propter seipsam), ne peut pleinement se trouver lui-même (seipsum) que par le don désintéressé (sincerum) de lui-même (sui ipsius). » Ce paragraphe contient en germe toute une théologie du don : elle se développera dans l’Église comme naturellement à partir de cette affirmation. L’A. approfondit cette anthropologie personnaliste du don sous l’inspiration du philosophe polonais qui désormais par la voix du pape Jean-Paul ii présentera plus explicitement une anthropologie théologique du don. De belle manière, l’A. établit des liens entre cette théologie et l’originalité des catéchèses du pape sur l’amour humain dans le plan divin. Son interprétation de cette œuvre abondante est éclairante.
Il récapitule dans son dernier chap. (chap. 7) et sa conclusion tous les enjeux d’une anthropologie trinitaire du don. Car la source de tout don « désintéressé » de soi est en Dieu. Dieu Créateur et Sauveur est à l’origine de cet élan d’amour et de toute relation humaine. Il montre de belle manière le développement de la réflexion de Jean-Paul ii sur ce thème et ses applications sur la réalité à la fois anthropologique, spirituelle, ecclésiologique et morale du don et de son caractère essentiel pour la famille et l’amour humain. Ces réflexions nous permettent de relire avec plus de précision les principales exhortations et encycliques de Jean-Paul ii sur la famille et le mariage. On en vient à parler d’une autre manière du mystère nuptial des époux et de l’accueil des enfants comme don de Dieu.
Une telle anthropologie du don, en sa structure ternaire et sa source trinitaire, éclaire de manière forte et suggestive une authentique éthique sexuelle, conjugale et familiale. Car la famille est bien habitée par la Trinité sainte, source de tout amour. Le mariage correspond à la nature et à la dignité de la personne humaine. Le mystère nuptial est une manière d’accomplir sur la terre la vocation « sponsale » de tout être humain. L’amour est à l’origine de la relation. Le don accomplit les décisions libres les plus profondes de l’homme. Ne pas se donner est une blessure à la structure fondamentale de l’être humain. Se donner à autrui d’une manière désintéressée, radicale, exclusive et totale est possible et cet acte est à l’image du Dieu Créateur et Sauveur : il unit et il est fécond. — A.M.