Une autre connaissance de Dieu. Le discernement chez Ignace de Loyola

Sylvie Robert
Spiritualiy - reviewer : Albert Chapelle s.j.
Le sous-titre annonce la première partie de l'ouvrage: une étude fine des règles de discernement ignatiennes (Exercices spirituels, 313-336). La rédaction du texte, le constat des motions et la nécessité de faire un tri, l'opération du discernement, la portée méconnue jusqu'ici de recours à des règles pour ordonneer à Dieu la complexité des expériences du sujet sont éclairés avec précision. La rigueur de l'analyse textuelle s'accompagne d'une belle intelligence historique des positions ignatiennes.
Il aurait été stimulant de voir l'A. s'expliquer avec la dialectique spirituelle des Exercices élaborée par G. Fessard à propos de ces règles de discernement. Il est vrai que les compréhensions d'ensemble ne coïncideraient pas entièrement, malgré de communes réminiscences hégéliennes et peut-être plotiniennes. La seconde partie de l'ouvrage fait comprendre les raisons d'un silence qui ne peut être imputable à l'ignorance ou au hasard. Conformément à la suggestion rahnérienne d'une «théologie des Exercices», l'A. entreprend une réflexion d'envergure sur la connaissance de Dieu impliquée dans la pratique du discernement. Même si les règles évoquées n'en parlent pas, il est juste et heureux de traiter cette «difficile question». Problème complexe à l'époque d'Ignace, déchirée par le nominalisme entre théologie et spiritualité. Mais la question d'une connaissance de Dieu autre que notionnelle ou affective ne relève pas du passé. Elle demeure plus vive aujourd'hui, où l'opposition entre théologie dogmatique et expérience spirituelle travaille la chrétienté et une large part de l'humanité.
Dans le discernement, pense l'A, s'ouvre une voie de connaissance indirecte de Dieu qui le distingue comme le Principe d'où dérive toute motion, toute raison et toute vie. Cette reconnaissance de l'Absolu de la Présence à trouver en toute chose est une contemplation, dans l'action et la réflexion, de Celui que nous connaissons comme Créateur. La Création apparaît à l'A. comme le lieu proprement théologique où le sujet se découvre par la pratique du discernement et de ses règles. La christologie ignatienne n'est pas pour autant méconnue, même si l'articulation de la médiation christique et de la différence positive de la création demeure abrupte. L'acte créateur que le sujet honore et atteste, par là qu'il se construit, offre une voie théologique pour connaître Dieu, sans même le penser ni le nommer.
L'A. ne se réfère ici ni à l'analogie de l'être ni à la causalité, ni à la participation. C'est dans la ligne de Echkart et de Platon que l'A. cherche l'Un, qu'il appelle l'Autre, puisqu'Il parle et donne. Sans rien prétendre exclure des exigences et des virtualités de la pensée, l'A. fait ici à ses propres frais oeuvre de raison où la dialectique du même et de l'autre se trouve reconduite et suspendue à Celui qui pour nous s'est fait l'Autre. Ignace n'est pas pris ici à témoin d'une dialectique susceptible de laisser sa puissance spirituelle s'épuiser dans les paradoxes de la finitude. Il ouvre à l'âme une voie, qui pour n'être pas ontothéologique, n'en demeure pas moins réaliste et universellement praticable dans l'en deçà de la pensée et de la compréhension dis-cursive. Cette seconde partie du livre se réfère continûment au texte ignatien. Mais au fil de l'ouvrage, celui-ci est davantage devenu l'illustration que la matière du propos. L'entreprise n'en est que plus fascinante, lorsqu'elle se réfère au Mémorial de P. Favre souvent cité en indice de cette autre contemplation ici décrite. - A. Chapelle, S.J.

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