Derrière un titre qui intriguera sans doute plus d'un lecteur, et
sous un appareil technique qui pourrait également effrayer (mais
qu'on se rassure, la facture est bien plaisante), se cache une
enquête passionnante. Laissant de côté les forts volumes de
théologie, les ouvrages liturgiques et autres catéchismes, l'A.
«s'est faufilé» dans un genre littéraire bien spécifique, à savoir
le «livre de piété», ce petit ouvrage destiné aux laïcs, souvent de
format et de prix réduits, et surtout prenant des formes très
variables (romans édifiants, sortes d'abrégés bibliques, recueils
de conseils pratiques pour tous les gestes de la foi, etc.). Pas
moins de 2230 éditions, conservées en Savoie et en Lorraine, deux
régions catholiques, la seconde étant située aux marches du
protestantisme, ont été sollicitées; il convient d'ailleurs de
souligner que l'A. s'est penché, dans la mesure du possible, sur
des exemplaires qui ont réellement servi, dans lesquels on retrouve
notamment des réflexions personnelles des possesseurs, des noms,
des notes qui laissent entrevoir l'histoire de tel ou tel
exemplaire. Et voilà qu'émerge tout un monde d'auteurs, relayés par
un réseau de libraires et d'imprimeurs, qui se proposaient de
répandre auprès de leurs lecteurs ce qu'ils estimaient devoir leur
apprendre comme religion, tant quant au contenu qu'en ce qui touche
aux comportements concrets devant en découler. Ce qui ressort de
l'examen de cette multitude d'ouvrages, aux inspirations très
différentes (les jansénistes voisinent avec les dévots de la Vierge
ou les zélateurs du Sacré-Coeur), c'est que peu à peu s'est
répandue une nouvelle forme d'apprentissage de la foi chrétienne,
ouverte au plus grand nombre, plus individuelle, plus
intériorisante: chacun pouvait, si l'on peut dire, se forger sa
propre vie de foi. Au risque peut-être d'échapper au «contenu
officiel» de cette foi (encore que cette littérature n'était
évidemment pas la seule forme de pastorale). On pourrait d'ailleurs
se poser la question de savoir si, à sa manière, cette littérature
n'a pas contribué à l'émergence du libéralisme catholique et à la
privatisation de la foi. - B.J.