L'A. aborde ici conjointement deux thèmes de toute évidence
intimement liés. L'un, souvent étudié, à savoir la « politique
religieuse » de Napoléon (et dans le cadre plus large de la
Révolution française) ; l'autre, plus difficile à
circonscrire, concernant les convictions personnelles de
Napoléon. Inutile de s'étendre longuement sur le premier
sujet : la période révolutionnaire changea notablement la
donne pour toutes les religions, et tout spécialement pour le
catholicisme qui, de référence primordiale et presque unique dans
la vie de la France, devint finalement une religion parmi les
autres tout en demeurant, par les clauses du concordat de 1801,
comme la religion de la majorité des Français, et gardant de ce
fait - et pour longtemps - une place prépondérante dans
la société. Encore faut-il se rappeler que les rapports
État-catholicisme furent souvent vécus sur le registre de
l'amour-haine. Aborder le second thème n'était pas chose aisée,
tant Napoléon fut un personnage complexe, et tant ses déclarations
comme ses actes purent varier - et fortement - dans le
temps. Il fut bien sûr tributaire de son enfance, largement baignée
par le catholicisme, tout autant que de l'esprit du temps où les
critiques, voire les attaques frontales, à l'égard du catholicisme
ne manquèrent pas, en même temps que par sa rencontre avec d'autres
religions, en particulier l'Islam lors de la campagne d'Égypte, et
son initiation maçonnique. Pour caractériser la
« religion » de l'Empereur, le mieux est sans doute de
citer quelques lignes de la conclusion de l'A. : « En un
mot, Napoléon peut être tenu comme un déiste de conviction
matérialiste pratiquant une religion politique et/ou sentimentale
avec des velléités religieuses et des tendances superstitieuses. Sa
croyance est véritablement suspendue entre celle des Lumières et
celle des Romantiques : entre coeur et raison. Pour ce qui est
de ses convictions, elles sont proches de celles de l'Institut.
Elles correspondent à une espèce de « libertarisme
religieux » avec un crédit accordé à la religion en tant que
garante de l'ordre. Mais au fond n'importe pas tant ce à quoi il
croit que le fait même qu'il croit. Sa foi en Dieu est quasi de
l'ordre de l'instinct. Elle se subordonne probablement à un niveau
d'inconscience selon lequel il est plus rationnel de croire en Dieu
que de ne pas y croire. L'athéisme des Encyclopédistes est passé de
mode : la révolution en a fait une doctrine repoussante. Du
reste, Napoléon l'a avoué lui-même, sa nature s'accorde avec la
pensée de l'infini » (p. 282). Voilà qui rejoint à mon
sens ce qu'il déclarait devant le Conseil d'État, le
1er août 1800 : « C'est en me faisant
catholique que j'ai fini la guerre de Vendée, en me faisant
musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant
ultramontain que j'ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais
le peuple juif, je rétablirais le temple de Salomon ». -
B. Joassart s.j.