Michel Fédou s.j.,
Prix Ratzinger 2022

 
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La Nouvelle revue théologique présente ses félicitations au père Michel Fédou s.j. pour le Prix Ratzinger qu’il a reçu avec le Sud-Africain Joseph Halevi Horowitz Weiler, premier juif à recevoir cette récompense, le 1er décembre 2022. La NRT est fière de le compter parmi ses auteurs.

 

Nous publions ici un extrait du discours qu’il a tenu lors de la remise de ce prix à Rome :

 
On trouvera les textes principaux qu'il a écrits pour la revue ici.
 
 

Messieurs les cardinaux, Messeigneurs, Chers Pères, Chers amis,

 

            Je suis heureux de vous adresser quelques mots ; je le ferai principalement en anglais puisque l’anglais est devenu l’équivalent de la « koinè » grecque des premiers Pères de l’Église, mais j’inclurai aussi quelques mots en français.

            Je voudrais avant tout remercier chaleureusement le Père Lombardi et les membres du comité scientifique de la Fondation Ratzinger. Cela a été une très grande surprise pour moi que de recevoir le prix. Je l’accueille, non seulement comme une marque de reconnaissance, mais comme un fort encouragement pour la mission du travail théologique dans la Compagnie de Jésus et plus largement dans l’Église. Je l’accueille aussi comme un motif de profonde action de grâces pour tous ceux qui pendant plusieurs décennies m’ont encouragé et stimulé dans mon itinéraire de théologien, et d’abord pour les Supérieurs de la Compagnie de Jésus qui m’ont confié cette mission du travail théologique et pour ceux qui me donnent les moyens de l’accomplir aujourd’hui même ; merci en particulier au Père François Boëdec, provincial de la Province d’Europe Occidentale, au Père Etienne Grieu, recteur du Centre Sèvres, au Père Henri Laux, supérieur de la communauté Saint Ignace à Paris. Merci pour votre présence, et pour celle de ma famille (ici représentée par mon frère aîné et par mon cousin le P. Philippe Parant). Le prix qui m’a été décerné m’inspire une profonde gratitude pour beaucoup d’autres personnes – des enseignants, des étudiants, mais bien d’autres aussi… Permettez-moi d’avoir une mention particulière pour ceux qui les premiers m’ont ouvert à la foi chrétienne et qui sont décédés il y a plusieurs années : mon père et ma mère.

            Je suis heureux d’avoir fait connaissance, à l’occasion de ce prix, avec le professeur Joseph Weiler, d’autant plus que ma famille compte elle-même plusieurs juristes (dont mon frère ici présent). Quant à moi, mon propre chemin m’a conduit des lettres classiques à la théologie, avec un intérêt tout particulier pour les Pères de l’Église, en même temps qu’avec le souci de travailler à l’intelligence de la foi pour notre temps.

            Je suis très reconnaissant pour le renouveau patristique qui a marqué la théologie française il y a quelques décennies. Selon l’intuition des Pères Henri de Lubac et Jean Daniélou, fondateurs de la collection Sources Chrétiennes, il s’agissait de faire connaître des textes d’Irénée de Lyon, d’Origène, de Grégoire de Nysse et de bien d’autres auteurs parce que ces textes devaient être en mesure de nourrir et de féconder l’intelligence de la foi. Depuis lors, la fécondité de la littérature patristique pour la théologie s’est vérifiée de bien des manières. Et elle se vérifie aujourd’hui même, non seulement en Europe mais aussi dans d’autres continents ; j’ai souvent constaté combien des étudiants d’Amérique, d’Afrique ou d’Asie peuvent être vraiment rejoints par des textes patristiques, et comment ceux-ci les aident ensuite à avancer dans l’élaboration de leur propre réflexion sur leurs continents respectifs.

            Cela ne veut pas dire qu’il faille répéter servilement tout ce qu’ont dit les auteurs anciens. Le théologien doit être plutôt soucieux de chercher, comme l’écrivait Karl Rahner, « le fragment qui, dans notre passé, forme notre avenir ». Je suis bien conscient, en tout cas, des exigences nouvelles qui s’imposent à la théologie catholique aujourd’hui. Celle-ci doit s’efforcer de penser la foi en dialogue avec les sciences et avec la philosophie moderne, d’une manière qui prenne en compte les évolutions de nos sociétés et cultures. Elle doit être à l’écoute du peuple de Dieu, chercher à nourrir la foi de la communauté chrétienne, et prêter une attention privilégiée aux plus pauvres (quelle que soit leur pauvreté) et à tous ceux qui sont de quelque manière à la périphérie. Elle doit avoir le souci du dialogue avec les théologies protestantes et orthodoxes, afin de pouvoir contribuer au chemin vers la communion espérée. Elle doit témoigner de la foi d’une façon qui soit respectueuse des autres traditions religieuses, sans chercher à imposer cette foi mais en essayant de faire connaître humblement ce que le Pape François appelle « la joie de l’Évangile ». Elle doit encore se préoccuper des graves questions que soulève la crise écologique et réfléchir sur les ressources du christianisme pour aider notre humanité à y faire face. Mais en tout cela la théologie s’inscrit précisément dans la grande tradition du christianisme ancien. De même que les premiers Pères de l’Église, suivant l’exemple de Paul devant l’aréopage d’Athènes, ont dû rendre compte de la foi chrétienne de manière significative pour la culture gréco-latine, de même est-ce à des tâches analogues que nous sommes conviés dans les situations nouvelles de notre temps.

Permettez-moi de terminer en citant quelques lignes du théologien Joseph Ratzinger dans son livre Einführung in das Christentum :

« Comprendre, loin de s’opposer à croire, en constitue l’élément le plus propre […]. Aussi la théologie, comme discours sur Dieu qui fait comprendre, comme discours conforme au logos […], est-elle une tâche primordiale de la foi chrétienne […]. Il est vrai que l’acte de comprendre, de sa nature, dépasse continuellement notre “saisie conceptuelle” pour reconnaître que nous sommes nous-mêmes saisis et “compris” dans plus grand que nous […]. Dans cette perspective il est juste de parler de mystère […]. Mais c’est précisément dans le fait d’être saisis, “compris” par ce que nous ne pouvons à notre tour appréhender que se réalise la responsabilité de “comprendre”, sans laquelle la foi perdrait sa dignité et se détruirait elle-même[1]. »

            Je vois dans le prix Ratzinger un encouragement à poursuive, autant que je pourrai, et avec beaucoup d’autres, un travail théologique au service du peuple de Dieu.

            Je vous remercie encore chaleureusement pour ce prix.

 

Michel Fédou sj

1er décembre 2022

 

 

[1] Traduction française : J. Ratzinger, Foi chrétienne hier et aujourd’hui, trad. de l’allemand, 2e éd., Mame, Paris, 1969, p. 35-36.

 

 

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