C'est toujours une expérience gratifiante que de présenter des
ouvrages rédigés par un spécialiste hautement qualifié. Nous la
partageons d'autant plus volontiers avec nos lecteurs, que, exact
contemporain de l'A., et bénéficiaire de plusieurs rencontres avec
lui, nous avons été nourris, comme beaucoup d'autres, des penseurs
dont il fait ici mémoire - ce qui permet au modeste lecteur que
nous fûmes de les revisiter. Lui-même, spécialiste et enseignant
des sciences sociales et économiques à l'Institut Catholique de
Paris et à d'autres institutions universitaires, il a consacré ce
premier volume aux années vingt et trente du XXe siècle. Celui-ci
concerne surtout la pensée sociale et catholique en France de ceux
qu'il appelle à juste titre «les grands noms»: Maritain, Mounier,
Fessard, Teilhard de Chardin, de Lubac. Mais il les fait
opportunément précéder par une vingtaine de pages sur Charles
Maurras et «la pensée Action française». Ayant nous-même fréquenté,
dans le milieu familial, des proches séduits par cette pensée, nous
avons pu mesurer l'étendue de cette séduction dans le milieu
catholique de l'époque, et, par voie de conséquence, le drame qu'a
représenté, pour bon nombre de catholiques, la condamnation par le
pape Pie XI en 1927 de l'Action française à laquelle il reprochait
d'exclure toute relation de la politique et de la foi. C'est à
partir de là que l'A. rend compte de ce qu'il appelle le
«Retournement» initié par Jacques Maritain, jusqu'alors adhérent de
l'Action française, et dont l'A. explicite ce qu'il qualifie à
juste titre d'«apport décisif sur la relation de la politique et de
la foi». Apport précisé, et partiellement critiqué, par cette autre
«grande figure» qui fut un des maîtres de notre jeunesse: Emmanuel
Mounier, dont la pensée «demeure capable de stimuler encore». Autre
étape: le P. Gaston Fessard sj, dont l'originalité «est d'avoir
introduit l'idée de dialectique dans une pensée qui se développait
habituellement plutôt sous un mode principiel et déductif». Ici
encore, de larges citations permettent de saisir la genèse et la
complexité d'une pensée puissamment originale. Vient alors la
surprise, qui n'en est pas moins convaincante, de découvrir le P.
Teilhard parmi ces «penseurs du social». Ici encore, les textes
parlent, en particulier dans cette grande synthèse que constitue Le
Phénomène humain, remaniée et complétée en 1947-1948: «Pas d'avenir
évolutif à attendre pour l'homme en dehors de son association avec
tous les autres hommes». Ce qui inspire le diagnostic teilhardien
du marxisme et des fascismes, ainsi que sa critique de la
démocratie libérale, individualiste.
Enfin, l'apport, aussi personnel que traditionnel, du P. Henri de
Lubac, dont l'originalité est de «faire émerger le «social» de la
doctrine chrétienne même, de la foi, des «dogmes» chrétiens. «Plus
encore: de faire reconnaître l'homme comme social à partir de sa
dimension religieuse comme telle», ainsi que le réalise l'A. de ce
livre fondamental qui a tant nourri et inspiré notre génération:
Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme. À ces chapitres
concernant des penseurs catholiques français, l'A. ajoute, «afin
d'élargir le champ», deux appendices, également suggestifs: l'un
concernant leurs émules catholiques contemporains: en Italie (Don
Sturzo), en Allemagne (le P. Oswald von Nell-Breuning), aux
États-Unis (John A. Ryan); le second, concernant la pensée
protestante (Karl Barth, Martin Niemöller et Dietrich Bonhoeffer).
- P. Lebeau sj