Titulaire de la chaire Étienne Gilson de la Catho de Paris en 2011,
Joseph O'Leary enseigne à la prestigieuse Université Sophia de
Tokyo. C'est un penseur fin et lettré, qui ne manque pas
d'originalité ni de caractère. Le public francophone connaît déjà
plusieurs ouvrages de cet auteur, de La vérité chrétienne à
l'âge du pluralisme religieux, déjà ancien, au tout récent Art
du jugement en théologie. Bon connaisseur du bouddhisme, il attire
surtout l'attention par la façon dont il cherche à élargir les
cadres traditionnels de la théologie catholique à partir de
concepts et formes logiques empruntés à la culture asiatique. Il
semble cependant que ce déploiement éventuel, qui ne manque pas
d'intérêt, doive se payer chez lui au prix d'une déshellénisation
de la théologie: le néant oriental et l'être grec seraient ainsi
incompossibles devant la Révélation. C'est dans ce contexte assez
marqué, qui sent la vieille rancune schopenhauriennne, que l'A.
fait paraître un assez curieux Origène dont la lecture
«déconstructive» (p. 85) paraît tout à fait surdéterminée par celle
de Harnack, Heidegger et Barth (voire Melanchton). On ne prendra
pas cet ouvrage comme un livre de référence, mais plutôt comme une
sorte de défi à la lignée issue de van Ivanka: l'idée consiste à
mettre en demeure la théologie chrétienne, naissante chez Origène,
de s'exonérer de tout apport métaphysique, et d'en montrer,
soit-disant, l'échec natif. Il y a en effet chez Origène comme un
précipité de tout ce que l'auteur reproche à la tradition
occidentale, à savoir de prendre au sérieux les données
conceptuelles, ontologiques et théologiques issues de Platon.
O'Leary prétend le montrer à trois niveaux, à savoir sur le plan du
Traité des principes (ch.2), puis du Commentaire de
saint Jean (ch. 3), et enfin du Contre Celse (ch. 4).
L'Auteur déploie néanmoins son propos polémique avec une politesse
extrême, parsemant son texte de nuances, de pondérations,
d'équilibrages apparents ou réels. Il y a moyen de lire cet ouvrage
avec un certain profit, comme lorsque O'Leary appelle à une forme
de vigilance devant toute synthèse qui méconnaîtrait le statut
propre du théologique et du philosophique (p. 87). Il reconnaît
aussi les progrès réels qu'Origène a enregistrés en théologie,
faisant rempart du texte biblique devant la poussée gnostique de
son temps. Mais on ne peut que peser avec circonspection
l'idéologie qui court en arrière-plan de cet ouvrage conflictuel,
qui vise à préserver le «phénomène» biblique de toute inhibition
«platonicienne» (p. 30) et à limiter «sévèrement» le «rôle de la
métaphysique spéculative en théologie» (p. 79). O'Leary ne cible en
réalité rien moins dans ce livre que Rahner, Pannenberg ou Moltmann
(sic, p. 244), sans parler bien sûr in petto de saint Thomas. La
Forschung origénienne aura sans doute quelque mal à discuter cet
ouvrage, dont le fond du propos ne concerne pas en réalité Origène
mais tout autre chose: il s'agit de faire place nette pour une
influence bouddhiste sur la théologie, en débarrassant celle-ci de
ses anciens vecteurs métaphysiques et en lui faisant prendre un
tour distinct de celui qu'a pris la Tradition. À l'heure où
paraissent, en sens inverse, des ouvrages aussi stimulants que
celui par exemple de L.B. Puntel, Sein und Gott (Mohr Siebeck,
Tübingen, 2010), des lectures nous paraissent plus urgentes que
celle de ce livre, dont la thèse antimétaphysique est écrite
d'avance et ne contribue pas, nous semble-t-il, à une meilleure
connaissance d'Origène. - E. Tourpe