Spécialiste du judaïsme et chercheuse à la Faculté d'histoire de
Bologne, Cristiana Facchini s'intéresse aux intellectuels juifs
italiens de la seconde moitié du XIXe s. qui, ayant enfin obtenu
tous les droits civiques, voulurent situer l'histoire juive parmi
les sources nobles de l'Italie unifiée. On a trop vite cru que le
judaïsme s'était désintégré en s'assimilant. Or de nouvelles études
soulignent les relations complexes entre les Juifs et les nouvelles
unités nationales européennes. Les individus juifs sécularisés
utilisèrent leur patrimoine culturel et historique pour féconder la
culture de leurs nouvelles patries. C'est pourquoi le portrait
intellectuel de David Castelli (1836-1901), Juif né à Livourne et
mort à Florence, constitue un élément important pour saisir la
mentalité juive à cette époque, même si l'A. n'a pu avoir accès aux
archives juives. Ni religieux ni sioniste, Castelli fut un
Professeur d'Université hébraïsant, partisan d'une identité laïque
juive. Il croyait au progrès tout en soupçonnant la faillite future
de la science. Tout en appartenant à un courant juif déterminé,
Castelli aide à comprendre quelle conception du judaïsme comme
religion s'élabore chez certains Juifs. Comme savant, il fut
fortement influencé par le judaïsme réformé et par le
protestantisme libéral venus d'Allemagne. Tout en voulant
s'assimiler à la culture occidentale et rejeter les pratiques
religieuses hébraïques, pas mal d'intellectuels juifs tenaient à
garder leur particularisme culturel. Ils désiraient conserver leur
«identité» juive au sein des cultures occidentales, même si
certains Juifs haïssaient leur judaïté au point de se convertir au
christianisme. Castelli fut un orientaliste qui apporta une rigueur
toute scientifique à ses travaux, dans la ligne des orientalistes
germaniques, et traça une voie scientifique pour l'étude moderne du
judaïsme dans son cadre politique et social. Il tenta de répandre
en Italie la critique biblique de type protestant libéral, de même
que l'étude critique des origines du peuple juif et du
christianisme. L'effort historique de Castelli fut une première en
Italie. Il espérait par là retrouver la pureté des origines pour
aboutir à une religion universelle dans la ligne de Renan. D'autres
philologues juifs allemands allaient déjà dans ce sens et eurent à
défendre âprement leur point de vue contre les philologues
protestants. En Italie, les savants juifs réussirent à faire entrer
le judaïsme dans la culture italienne malgré l'opposition d'un
antisémitisme persistant.
Le but de cette biographie intellectuelle est de voir comment
Castelli a transposé le vieux patrimoine juif dans les catégories
de l'âge positiviste, dans l'universalisme et le cosmopolitisme du
XIXe s. finissant et que beaucoup de Juifs acceptèrent comme une
foi nouvelle, non sans conflits culturels prolongés. Ce libre
penseur espérait une société meilleure inspirée par le progrès
scientifique et croyait à cette «mystique laïque». De là sont nés
les principaux courants actuels du judaïsme.
Le volume est divisé en deux parties: 1/ Quelle est la religion des
Pères? Avec 5 thèmes: des écoles hébraïques jusqu'à l'Université
italienne; le Talmud et la Loi hébraïque; une théorie du
messianisme; poésie, prophétie et kabbale; Histoire et éthique du
judaïsme. 2/ La correspondance de Castelli avec différents
personnages, sa bibliographie et une bibliographie générale.
Ce livre nous découvre un aspect peu connu du judaïsme et
intéressera tous ceux qui se sentent concernés par la question
juive. - B. Clarot sj