L'A. avait déjà publié Quand Rome condamne (1989) où il
racontait la douloureuse histoire des prêtres-ouvriers dominicains.
Il présente ici la communauté des prêcheurs implantés dès 1948 dans
la banlieue ouvrière de Lille. «Tant de pages pour une poignée
d'individus que l'on suit, pas à pas,…pendant soixante ans!»,
s'exclame dans la préf. P. Blanquart. Oui, mais il ne s'agissait
pas moins pour eux que d'essayer d'articuler l'Église catholique
romaine et le mouvement ouvrier qu'organisaient de façon dominante
les communistes de la IIIe Internationale. Entre ces deux entités
antagonistes, on trouve l'ordre dominicain, dont, souligne encore
P. Blanquart, l'histoire fut «celle d'un permanent champ de
bataille» où s'affrontèrent des hommes comme le grand inquisiteur
Torquemada d'une part et le défenseur des Indiens d'Amérique,
Bartolomé de Las Casas, d'autre part. À sa fondation, l'ordre de S.
Dominique avait été clairement du côté de l'évangile fraternel
contre la hiérarchie féodale. Il accompagna de sa manière de vivre
et de sa prédication le mouvement communal. À l'époque de
Lacordaire il recruta des vocations dans les milieux socialistes
chrétiens. Comment, en ces années du xxe s., fallait-il combler le
fossé entre l'Église et le monde ouvrier? La JOC se révélait
insuffisante. L'idée de prêtres-ouvriers s'imposa alors. Mais en
sortant du cadre de l'institution sacrée et pyramidale qui les
avait contenus, ces prêtres libérèrent en eux «le fondement
évangélique qui y était étouffé, voire détourné». En même temps,
ils trouvaient chez ceux auxquels ils étaient envoyés une grande
solidarité. Ils espéraient tirer de cette expérience - et certains
théologiens dominicains le dirent nettement - une amélioration de
la prédication et de l'enseignement ecclésiastiques. Mais l'Église
ne put admettre leur conception du sacerdoce, et craignit de les
voir contaminés par l'athéisme marxiste. Il fallut donc supprimer
les prêtres-ouvriers. Une nouvelle étape s'ouvrit alors, où
certains d'entre eux purent continuer leur mission avec la
reconnaissance ecclésiale, mais en perdant ainsi leur signification
tant pour l'institution que pour la société. La double fidélité à
l'Église et au monde ouvrier fut dès lors vécue dans un déchirement
que vint apaiser Vatican II. En effet, le Concile déclara légitime
que des prêtres «travaillent manuellement et partagent la condition
ouvrière». Mais les temps étaient profondément changés et on vécut
dans l'Église de Jean-Paul II, qui les oublia. En même temps les
dominicains plus jeunes se ralliaient à la restauration en cours… -
H. Jacobs sj