Écrits évangéliques. Un siècle après les «petits livres rouges», éd. Ch. Chauvin

A. Loisy
Historia - reviewer : Bernard Joassart s.j.
La formule, lapidaire, est devenue célèbre: «Alfred Loisy, prêtre, retiré du ministère et de l'enseignement, professeur au Collège de France, 1857-1940, Tuam in votis tenuit voluntatem». Aujourd'hui encore, on s'interroge sur sa signification. Mais sans doute reflète-t-elle au mieux la vie et la carrière de Loisy, à laquelle É. Goichot, spécialiste de Bremond, consacre ce volume qui se veut une biographie intellectuelle et se termine par une formule qui pourrait sembler contredire le propos, puisqu'elle évoque l'attitude des amis de Loisy qui «ont généralement reconnu et respecté la sincérité et la tragique grandeur de cette singulière expérience spirituelle» (p. 194). Lapsus de dernière minute? Que non! Sobre et d'une écriture élégante, l'ouvrage, qui ne cède en rien au romanesque, piège classique pour tout biographe (ce qui ne veut pas dire qu'on n'y apprend rien sur la vie quotidienne de Loisy ou sur ses observations - lucides - à propos de la politique internationale), repose avant tout sur les oeuvres de celui-ci, en particulier sur ses Mémoires, ses «petits livres rouges», ainsi que des témoignages d'«amis» de Loisy: ses contemporains, si l'on peut dire, Duchesne, Mignot, Bremond (auteur d'une «oeuvre clandestine», Un clerc qui n'a pas trahi, résumé des Mémoires de L. publié sous le pseudonyme de Sylvain Leblanc), von Hügel, Tyrrell, Houtin, et quelques-uns plus jeunes qui surent percer sa carapace, en particulier Louis Canet et Raymond de Boyer de Sainte-Suzanne qui, en 1968, édita un Alfred Loisy: entre la foi et l'incroyance. Suivant pas à pas la carrière de Loisy, en dépassant d'ailleurs la date fatidique de l'excommunication, en 1908, après laquelle, en général, on ne s'occupe plus guère de ce qu'il advint du Loisy professeur au Collège de France, l'A. permet de suivre le chemin parcouru par cet homme qui, jusqu'à la fin de sa vie, au fil de ses recherches scientifiques, va peu à peu mettre en lumière les difficultés d'articuler la foi chrétienne et la critique, en particulier celle de l'histoire, et être conduit lui-même à remodeler, presque sans cesse, ses propres convictions. Et s'il ne prétend pas être une histoire du modernisme, grâce notamment à la rencontre avec quelques-uns des «amis» de Loisy, et aussi certains de ses «opposants» (le terme étant à bien comprendre; un Lagrange ne partageait pas les convictions de Loisy, mais en respecta toujours le cheminement), l'ouvrage n'en permet pas moins de saisir les contours de cette crise.
Si l'on ne peut que se féliciter de l'ouvrage d'É.G., il n'en va pas de même avec celui de C.Ch., que les circonstances éditoriales amènent - presque malheureusement - à présenter simultanément. S'il n'a pas les dimensions des célèbres «petits livres rouges», il en rappelle l'existence par une couverture d'une même couleur (ou du moins approchante), et regroupe 25 extraits de trois ouvrages exégétiques de Loisy (Les Évangiles synoptiques [1907], L'Évangile selon Marc [1912], et Le quatrième Évangile [1903]). Sur le principe des anthologies, on ne discutera pas: elles peuvent être utiles, surtout si l'auteur fut fécond; encore ne faut-il pas les prendre pour l'oeuvre originale, et qu'elles soient bien faites. Mais dans ce cas, au vu de l'introduction, qui a toutes les allures d'un morceau de bravoure hagiographique, on ne peut manquer de se poser des questions. De son propre aveu, l'éditeur a connu tardivement les écrits de Loisy, et le regrette, estimant que s'il «avai[t] étudié les ouvrages de Loisy, [il] aurai[t] lu et commenté [lui]-même les évangiles, comme nous y sommes tous conviés, de façon moins naïve et moins incompétente, de manière plus critique et donc plus authentique» (p. 35). En cause, aux yeux de C.Ch., le silence fait autour de Loisy et la difficulté de trouver en une même bibliothèque l'ensemble de ses ouvrages. J'ai peine à croire, notamment depuis la thèse pionnière d'Émile Poulat, Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, qui date de 1962, suivie de quantité de recherches sur le même homme et tout ce qui touche au modernisme (qu'on aille revoir l'ample complément bibliographique qu'É. Poulat inclut à la fin de la 3e édition de sa thèse [1996]), que Loisy soit resté à ce point ignoré, surtout pour un docteur en science religieuse, ainsi que le signale le dépliant publicitaire inséré dans l'exemplaire de presse reçu par la rédaction de notre revue. Pas plus que je ne puis croire qu'il soit à ce point ardu de trouver les écrits de l'exégète français. Ayant eu l'occasion de m'intéresser d'un peu près au modernisme, je n'ai pas été contraint à de grands déploiements de force pour trouver n'importe quel ouvrage de Loisy qui m'était nécessaire. Par ailleurs, quelques affirmations étonnent. Ainsi lit-on, p. 29, que «les écrits de Loisy, malheureusement malconnus ou totalement méconnus, n'ont pas pris une ride, à commencer par les commentaires bibliques du Nouveau Testament»; et en finale, p. 37: «il est resté méconnu et, bien que certains l'aient lu et utilisé sous le manteau, ses oeuvres n'ont pu contribuer à faire évoluer l'exégèse catholique française». L'A. n'hésite d'ailleurs pas à conclure: «Cet ouvrage vise à le réhabiliter, à lui rendre justice (sinon à le béatifier!) et à le faire connaître, en le faisant lire. Cent ans après!». Si cette anthologie a entre autres finalités de sortir Loisy d'une réelle méconnaissance, on se demande quelle raison a amené C.Ch. à ne pas reproduire «l'important apparat critique [qui] accompagne» les textes ici présentés (il a heureusement la délicatesse d'en avertir le lecteur dans une brève note, à la p. 37). Encore pourrait-on s'accommoder de cet inconvénient. Soyons sérieux. À la lumière de la critique moderne, Loisy a posé à la foi chrétienne des questions importantes; pas mal d'autorités ecclésiastiques - y compris au sommet de l'Église catholique - ne lui ont pas ménagé les tracasseries; son cheminement personnel doit être respecté, comme celui de toute conscience humaine. Mais le considérer comme un sommet indépassable relève du contresens historique pur et simple, et d'une apologétique à laquelle celle du 19e siècle, que l'on se plaît - à raison - à tant décrier, n'a rien à envier. Et plutôt que de publier une telle anthologie, ne serait-il pas préférable de republier les Mémoires de Loisy, document irremplaçable pour la connaissance de la crise moderniste? -B. Joassart, S. J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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