Égalité homme-femme et genre. Approches théologiques et bibliques

(dir.) Denise Couture (dir.) Anne Létourneau (dir.) Étienne Pouliot
Teología - reviewer : André Haquin

Le présent volume consacré au rapport « femme-homme » et au « genre » présente les Actes du Congrès tenu à l’Université Laval (Québec) par l’« Association catholique des études bibliques » et la « Société canadienne de théologie » en juin 2017 dont le titre était « Égalité homme-femme et genre. Approches théologiques et bibliques ». La collection Terra Nova (Peeters, Leuven) diffuse les travaux théologiques de la « Société canadienne de théologie » ou se rapportant à des problématiques intéressant le Canada. Les pays d’Amérique du Nord sont plus sensibles que l’Europe aux questions de « genre », à la place de la femme dans la société et au rapport masculin-féminin, longtemps dominé par une mentalité dite « patriarcale ». Le xxe siècle a connu une accélération du mouvement d’émancipation des femmes et la découverte par le monde féminin de ses possibilités et de la nécessité de prendre sa place dans le monde du travail, de la politique, du social et du culturel. La scolarisation des jeunes filles à tous les niveaux y est sans doute pour beaucoup. Dans l’Église catholique aussi, cette prise de conscience est présente. Les femmes désirent non seulement servir comme elles l’ont toujours fait, mais d’une manière nouvelle, dans des tâches de responsabilité et de gouvernement, comme dans l’enseignement où elles ont désormais leur place, y compris à l’Université. Les requêtes vont jusqu’à demander l’accès aux ministères ordonnés. Les Églises chrétiennes marchent chacune à leur rythme : les Protestants et Anglicans ont fait le pas d’ordonner des pasteures et parfois même des évêques, choisis aussi dans le monde féminin, tandis que les Orthodoxes acceptent l’ordination d’hommes mariés mais non l’ordination des femmes. Du côté catholique, les prêtres des Églises orientales peuvent contracter un mariage avant l’ordination, tandis que du côté occidental, ils sont célibataires ; des hommes mariés peuvent recevoir le diaconat permanent. On le voit, les dialogues œcuméniques ont leur place dans le mûrissement de ces questions. Les 16 collaborateurs du présent volume sont 10 femmes et 6 hommes, dont 13 intervenants du Canada et 3 de France. Cinq sont exégètes, les autres sont spécialisés en philosophie, en sciences humaines ou en théologie pratique.

La première partie a pour titre « Expressions exégétiques, relectures bibliques » ; on y explore les questions d’égalité homme-femme et de genre dans l’un et l’autre Testament. Le lecteur sera surpris d’y trouver une belle moisson qui enrichit le débat, sans être centrée directement sur les questions de ministères. Il est question tout d’abord des enfants de David, sa fille Tamar et Absalon, son fils. La beauté et la violence concernent l’un et l’autre, contrairement à ce qu’on pourrait penser (Anne Létourneau). Ensuite, on présente trois prophètes et leurs épouses et on constate que l’autorité ne s’exerce pas seulement du côté masculin (Philippe Loiseau). Quant à Judith, personnage complexe, elle peut être séductrice et d’une force cruelle. Les femmes découvriront chez elle une force d’émancipation (Catherine Vialle). De même, la mère des sept fils martyrs (Maccabées) a une force d’âme et de persuasion auprès de ses enfants qui étonne (Isabelle Lemelin). Enfin, on fait retour à saint Paul dont l’identité est multiple, citoyen de l’Empire, juif d’obédience pharisienne, et apôtre du Christ. Cette situation complexe explique sans doute ses prises de position différentes, soit la soumission de la femme à son mari, soit l’affirmation qu’il n’y a plus « ni homme ni femme » dans le Christ (Elian Cuvellier). Enfin, l’attitude du premier christianisme concernant les femmes montre à la fois des évolutions et des régressions (Michel Gourgues). Ces recherches bibliques permettent de dépasser les stéréotypes, concernant tant les hommes que les femmes.

La deuxième partie est intitulée « Des fondements autres, qui changent la donne ». Le caractère problématique des fondements du rapport homme-femme et du genre est mis en lumière par les diverses contributions. D’abord, on se met à l’écoute du livre Gender d’Ivan Illich qui souligne l’« incommensurabilité du rapport homme-femme » et l’indétermination du genre, car celui-ci est toujours particularisé et contextualisé (Mahité Breton). Ensuite, on est invité à penser le rapport homme-femme sur un mode ternaire et non binaire à travers la lecture de Gn 2 et 3 (Étienne Pouliot). La contribution suivante s’inspire de Big Love, une série de fiction américaine qui met en scène une famille mormone polygame, une autre monogame et une troisième convertie au mormonisme fondamentaliste à partir d’une position areligieuse. On y découvre les efforts des épouses pour négocier les rapports au patriarcat ainsi que l’utilisation du discours post-féministe pour recadrer le mariage plural (Mathilde Vanasse-Pelletier).

Avec la troisième partie « Appels aux Églises », le dossier ecclésial explore les débats sur l’égalité hommes-femmes dans les Églises et prend acte des appels qui sont adressés à ces dernières. Une première contribution s’intéresse à la formule « in persona Christi » souvent utilisée pour justifier l’ordination sacramentelle des hommes et l’exclusion des femmes. Serait-ce seulement la différence biologique qui justifierait l’une et interdirait l’autre ? (Marie-Andrée Roy). La deuxième intervention « Des femmes, icônes du Christ » conteste que la femme ne puisse représenter sacramentellement le Christ, pour des raisons de genre (Pauline Jacob). Le xxe siècle a vu l’Église protestante de Genève (1917-1968), héritière de Calvin, arriver à la décision d’ordonner des pasteures. Cette décision doit beaucoup à la formation théologique des jeunes filles, dont beaucoup étaient elles-mêmes filles de pasteur (Laurence Savoy). La dernière contribution s’efforce de dresser une typologie des positions concernant la « non-ordination » des femmes ainsi que des thèses féministes. L’approche queer (signifie « aspect dérangeant »), sans doute la plus récente des revendications, prend en compte la fluidité des frontières entre genres et demande la reconnaissance de droits égaux pour ces groupes aujourd’hui marginalisés (Denise Couture).

La quatrième et dernière partie « Chantiers encore jeunes » présente divers cas de changements dans les rapports hommes-femmes. La lecture féministe des récits de la vie de sainte Kateri Tekakwitha (1656-1680), une indienne de la Nouvelle France, s’écarte de la présentation « coloniale » de la personne « soumise et pieuse », présentée lors de la canonisation. La jeune indienne a pu avoir un rôle de « libératrice » pour les femmes autochtones (Jean-François Roussel). L’éco-spiritualité et l’éco-théologie proclament la grande unité qui relie le cosmos, Dieu et l’humanité entière, avec comme conséquence la nécessité d’une éco-justice pour tous (Pierrette Naviau). Le dernier exposé est consacré à la migration et à l’hospitalité dont Rahab, la prostituée de Jéricho (Jos 6,22-25), a fait preuve (Martin Bellerose).

Les auteurs souhaitent que la recherche se poursuive par de nouveaux « regards croisés » concernant l’égalité homme-femme qui permettront de faire advenir une humanité nouvelle. Par ailleurs, aucun des contributeurs n’a défini le terme « égalité » dans les rapports homme-femme, souvent valorisé aujourd’hui au détriment de la complémentarité. On l’aura bien compris : les choix qui sont proposés tout au long de l’ouvrage méritent un discernement de type pluridisciplinaire, tant en théologie qu’en anthropologie. De plus, les changements éventuels doivent être contextualisés et servir à une meilleure annonce de l’Évangile. Enfin, ces changements ne seront féconds que s’il y a une réelle réception dans le peuple chrétien, ce qui suppose une concertation et une sensibilisation du peuple des baptisés. — A.H.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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