Enquête sur les racines juives du mouvement chrétien (30-135)

Fr. Blanchetière
Religiones - reviewer : Jean Radermakers s.j.
Divers essais sont apparus ces derniers temps sur les «origines du christianisme», émettant des hypothèses variées basées sur des analyses souvent partielles et partiales. Il fallait une étude beaucoup plus large, explorant les recoins de cette importante question. Il fallait surtout un spécialiste historien, compétent et impartial, capable d'embrasser iréniquement une vaste documentation tant ancienne que moderne. L'A. nous offre aujourd'hui cette synthèse, qui est en même temps un instrument de travail de première valeur. Nous lui en savons gré. Disciple du regretté Marcel Simon, professeur à l'Université Marc Bloch de Strasbourg, on le connaissait par ses travaux sur le christianisme ancien, et notamment par ses précieuses contributions au colloque de Jérusalem de 1998 (cf. Le judaïsme dans tous ses états, Paris, Cerf, 2001, p.19-30 et 427-432).
Une magistrale introduction «fait le point» de la recherche. Une première partie consiste en une étude socio-historique. D'utiles «prolégomènes» l'ouvrent, rappelant le contexte géopolitique et socioculturel du Ier siècle palestinien. Suivent une brève enquête historiographique évoquant les faits à tenir en mémoire et une liste circonstanciée des documents littéraires et archéologiques à propos desquels il faut se garder des anachronismes ou des hâtives conclusions. La remontée aux origines s'avère donc difficile, comme déjà le faisait pressentir le précédent livre recensé. Des questions se posent. La dénomination des disciples de Jésus: Nazaréens ou Chrétiens? Et ce «nazaréisme» primitif fut-il «missionnaire»? C'est surtout le témoignage (ou martyre) qui constitue le choc attractif du «christianisme» naissant. D'où une étude géosociologique du «judéo-christianisme», décrivant la «nébuleuse primitive du proto-nazaréisme», remarquable interprétation des données évangéliques et de l'influence progressive du pagano-christianisme. Nous arrivons au sixième chap. qui conclut cette première partie, montrant comment la «praxis», et non le dogme, a provoqué la séparation entre nazaréens et chrétiens d'une part, et d'autre part entre ceux-ci et les juifs restés traditionnels, d'où le rejet nécessaire de la dénomination de «judéo-christianisme», finalement incorrecte.
La deuxième partie de l'ouvrage se consacre au Nazaréisme comme tel. D'abord quelques réflexions méthodologiques à propos de l'émergence d'une théologie basée sur l'interprétation de l'Écriture et sur la personne de Jésus: comment s'est effectué le passage de la parole à l'écrit évangélique, compte tenu de la halakha des disciples de Jésus et des communautés proto-nazaréennes? Et quelles étaient leurs «idées et croyances»: milieu qumrânien, conceptions messianiques, retour sur Jésus proclamé Messie, mort et résurrection du Christ, évolutions des titres christologiques, incarnation et eschatologie? Après un dixième chapitre traitant des controverses entre ceux de la circoncision et ceux d'entre les nations à propos de la lecture de l'Écriture, de l'identité de Jésus et de la réalité de sa résurrection, puis des polémiques intracommunautaires - trop peu apparentes dans les présentations traditionnelles -, le chap.11 étudie les institutions du nazaréisme: communauté, sacerdoce, sacrements, liturgie et fêtes, enseignement de référence. Un dernier chapitre considère, en ouverture, les constitutions des communautés chrétiennes issues de l'hellénisme, avec la transmission de la Bible, la situation sociale, les rapports avec la cité antique et la culture ambiante, puis l'organisation des églises, leur théologie et l'attitude antijudaïque marquées dans leurs écrits.
Ainsi l'A. peut-il définir les traits spécifiques de l'identité nazaréenne avant d'élaborer ses conclusions générales: jusqu'en 135, deux courants s'articulent sur la racine juive, un protonazaréisme et un christianisme primitif, sans rien abandonner de la halakha fondatrice. Le passage à la philosophie grecque contribuera à fonder l'orthodoxie chrétienne en rupture avec l'orthopraxie rabbinique, préparant l'institutionnalisaion du christianisme en religio romana. Comment dès lors situer Jésus au sein du judaïsme du Ier siècle? Et le Jésus de jadis «se reconnaîtrait-il dans l'institution qui après vingt siècles se revendique de lui?» (p.525). Un livre probe, sérieux, excellemment documenté, qui invite le chrétien d'aujourd'hui à une grande humilité et à une méditation salubre et décapante sur «les racines juives du mouvement chrétien». Nous ne pouvons que le recommander aux théologiens, aux exégètes, aux historiens de l'Église, et aux chrétiens décidés à réfléchir en vérité sur leurs origines.- J. Radermakers, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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