Éthique et grâce. Contribution à une anthropologie chrétienne
Isabelle ChareireMoral y derecho - reviewer : Léon Renwart s.j.
Une première partie prend pour point de départ la critique nietzschéenne d'un christianisme dégénérant, selon Nietzsche, en morale et, par là, auteur de sa propre mort. Elle oppose à cette vue la révélation de Dieu et l'exigence éthique contenue dans la Première Alliance: la loi y apparaît comme relation structurante à l'Autre. L'étude de la Deuxième Alliance, avec la révélation de la Trinité, montre une exigence toujours précédée d'un don; le mystère central de l'Incarnation, loin de conduire fatalement à une tendance «escapiste» de fuite du monde, offre une radicalité mue par son orientation «eschatique».
La deuxième partie cherche auprès de trois philosophes un instrument capable de structurer la recherche théologique. Elle dégage les grandes lignes de l'éthique aristotélicienne et signale son ambiguïté: la phronèsis est-elle seulement prudence (vertu pratique limitée au choix des moyens) ou sagesse, ayant pour visée la fin et choisissant en conséquence les moyens qui la rendent possible? Elle questionne ensuite Ricoeur, dont l'approche lui paraît offrir un cadre approprié à sa construction théologique. Pour ce philosophe, qui tient à rester un philosophe, l'ethos représente le souhait d'une vie exemplaire, avec et pour les autres, dans des institutions justes. Thomas d'Aquin, qui place au centre de son éthique les vertus théologales, introduit de la sorte la dimension théologique de l'éthique chrétienne.
Une troisième partie offre l'essai de synthèse tenté par l'A. Se basant sur les dogmes fondamentaux de la révélation chrétienne, elle montre que la Trinité révèle des Personnes reliées entre elles par l'amour et met ainsi l'accent sur l'aspect relationnel des personnes. Le dogme de la création témoigne d'une hétéronomie libératrice, car les créatures, appelées à entrer dans le circuit de l'amour divin, sont donc douées de liberté. Le mystère de l'Incarnation, révélant «l'excès bienheureux», fait découvrir à la fois l'être de Dieu agissant dans l'histoire et la médiation de l'agir: «le soi humain advient dans la réception de son être, comme grâce, et l'actualisation de celui-ci dans la suite pratique de Jésus-Christ» (p. 284).
Signalons encore, outre une présentation nuancée de Veritatis splendor (p. 195-197), deux petites phrases, qui méritent de ne point passer inaperçues: «la liberté, risque nécessaire de la création» (p. 9&), nous paraît une notation très éclairante pour une réflexion sur le péché des origines (parent pauvre de la théologie actuelle); «reconnaître que la sacramentalité de l'Église, pour être signe, n'épuise pas - loin de là - l'ampleur du don de l'Esprit» (p. 264), nous semble montrer la voie d'un amour lucide pour une Église qui nous transmet la vérité dans des «vases d'argile» et doit donc aussi, sans cesse, se purifier dans ses membres et ses institutions, comme l'a rappelé Vatican Il.
Remarquablement menée, cette recherche nous paraît exemplaire: l'A. présente les théories avec compétence et une objectivité sympathique attentive aux éléments valables, mais lucide aussi sur les faiblesses; elle veille à définir les termes dans le sens employé par les divers auteurs. Sans être toujours de lecture aisée, son texte est clair et solidement bâti. L'effort qu'il demande en vaut la peine. De bonnes tables facilitent la consultation. - L. Renwart, S.J.