Incroyables religions. Une lecture psychanalytique du phénomène religieux

Paturet
Filosofía - reviewer : Hubert Thomas
Pourquoi les religions sont-elles «increvables», selon l'expression de Lacan? Une certaine modernité, dans le sillage des Lumières, avait cru à leur extinction de par le fait de l'avancée des sciences et des techniques et, plus largement, de par le fait d'un homme enfin devenu «majeur», selon le voeu de Kant. Nous constatons qu'il n'en est rien. Religions toujours vivaces, résurgence des fondamentalismes, «recomposition du religieux» viennent culbuter les prévisions. Mais peut-être ne s'est-on pas avisé suffisamment des soubassements inconscients du phénomène religieux. Certes l'analyse de Freud sur le sujet est connue mais, transformée en vulgate, elle a sans doute perdu de son tranchant. Convaincu par une «psychanalyse à coups de marteau», Jean-Bernard Paturet fait donc repasser la religion à l'étamine de la psychanalyse. La pertinence de Freud et de Lacan, à sa suite, c'est d'avoir perçu que la religion ne relève pas que du conscient. Si elle est «increvable», c'est qu'elle fascine en venant à la rencontre des voeux inconscients de tout être humain.
Cette fascination joue en quatre directions. En premier lieu, la religion met en place un père idéalisé et reconstruit le narcissisme perdu par l'entrée dans le langage. Ensuite, en faisant de Dieu la cause de son désir, le croyant se défait de la charge d'être sujet de son désir. Il le sacrifie mais y gagne de pouvoir éluder la castration. Du sens, il nous faut du sens! Les religions ne se contentent pas d'en donner, elles lui donnent un fondement transcendant. Autre aspect de leur fascination. Enfin, la religion appartient au discours du maître, discours qui se propose de combler le vide, le désêtre. Voilà un propos roboratif, décapant et purifiant. Comment ne pas être séduit par un discours qui montre et déconstruit les illusions?
Toutefois, on s'en doute, des questions surgissent. D'abord, après cette mise en juxtaposition du propos des religions et de celui de la psychanalyse, on est amené à se demander: et après, qu'est-ce qu'on fait? Ensuite, s'il est vrai que l'anthropologie que l'on tire de la psychanalyse montre le vide constitutif du sujet, on peut se demander ce que signifie la parole de l'évangile de Jean (1,16): «de sa plénitude, tous, nous avons reçu»? Le vide est-il la seule marque du sujet? On peut aussi poser la question: où lit-on dans la Bible que l'humanisation s'inscrit à partir d'un vol à l'égard des dieux? Peut-on toujours parler de la religion à partir d'un point de vue pathologique? N'est-ce pas là une des limites du point de vue freudien? Ne risque-t-on pas de ramener la psychanalyse à une théorie et à une analyse? Alors qu'elle est d'abord le trajet de quelqu'un qui laisse venir, en sa parole, ce qui vient. L'analyste, là, est d'abord en écoute; il n'applique pas «le discours du psychanalyste» aux propos de l'analysant. On se demandera encore si l'on peut parler de la religion, des religions en général. En tout cas, on ne devrait pas oublier que l'Évangile, qui n'est pas la propriété du christianisme, porte en lui un potentiel critique radical. L'A. établit une distinction entre religion et spiritualité mais on ne voit pas bien ce qu'il fait de cette distinction par la suite.Cela fait pas mal de questions… Elles n'enlèvent rien à l'intérêt et à la pertinence du livre de Jean-Bernard Paturet. Le croyant, tenu à «faire la vérité», doit accepter celle-ci d'où qu'elle vienne. Nos questions cherchent à faire rebondir le propos sur une affaire décidément interminable. - H.T.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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