John. Storyteller, Interpreter, Evangelist

W. Carter
Sagrada Escritura - reviewer : Yves Simoens s.j.
Le titre de l'ouvrage indique ses trois parties. La première: John: Storyteller-»Jean: Conteur d'histoire», est la plus longue. Elle compte six chapitres dont les titres empruntent à la terminologie narratologique. Le chap. 1 définit: «Le genre de l'évangile de Jean». D'entrée de jeu, le propos est clair, nuancé, éclairé par la problématique littéraire. Le genre évangile ne consiste pas d'abord en un projet historique; ce n'est pas un genre «simple» mais complexe, composite qui ne se réduit pas non plus à un récit de théodicée juive. L'A. opte en faveur d'une prédominance de «la biographie ancienne» qui inclut des éléments aux différents modèles du «roman»-romance, de la tragédie, de la satire et de l'ironie, selon la terminologie de Northrop Frye, sans oublier une composante de révélation. Cela fait peut-être beaucoup pour un genre qui a toujours trouvé sa spécificité dans la littérature universelle.
Le chap. 2 précise l'intrigue-plot de l'évangile de Jean. Il met en évidence Prologue, «Histoires de quête»-quest stories (J. Painter), soit la mise en récits et discours d'une recherche, par exemple l'interrogatoire de Jean, qui ouvre le récit évangélique après le Prologue, «Signes», «Monologues et Dialogues», «Géographie: Galilée/Jérusalem», «Fêtes», «Le Pouvoir et les Marginaux». L'intrigue propre à Jean contiendrait le commencement (1,1-18; 1,19-4,54), le Milieu (5,1-17,26), la Fin (18-21), décision pour le moins discutable et qui dépend des critères du découpage textuel. Les caractères - au sens narratif du terme - de Dieu et de Jésus constituent le contenu du chap. 3 pour céder la place ensuite aux autres caractères (chap. 4): Les Juifs, les disciples, les caractères féminins (la mère de Jésus, la Samaritaine, Marie et Marthe, Marie-Madeleine) et deux caractères mineurs: l'aveugle-né et Ponce-Pilate, parmi d'autres possibles (p. 81).
Le chap. 5 aborde les questions sans doute les plus délicates et les plus disputées: «Johnspeak: The Gospel's Distinctive, Dualistic Language», que l'on pourrait traduire: «La manière johannique de parler; l'élément distinctif de l'évangile: le langage dualiste». Les expressions toujours évoquées en ce sens sont énumérées les unes après les autres, sans non plus prétendre à l'exhaustivité car la liste pourrait être allongée: «Appartenir à Dieu ou au Diable», «D'en haut, D'en bas (8,23a)», «Non de ce monde, De ce monde (8,23b)», «Déterminisme et décision», «Croire, Ne pas croire», «De la mort à la vie», «Lumière et ténèbre», Amour et haine», «Vérité et fausseté» (alors qu'il s'agit plutôt du rapport entre vérité et mensonge). La nécessité d'un approfondissement réflexif, sinon philosophique, se fait sentir ici plus que partout ailleurs dans l'étude, à dominante descriptive. «Dualisme» est un terme très fort, philosophiquement et théologiquement marqué, que les premiers versets du Prologue, à mon avis, conjurent d'emblée et jusqu'au bout. L'A. fait avec grande probité l'état des questions en tranchant, dans ce domaine comme dans d'autres, avec prudence et respect d'opinions multiples et diverses. On ne voit pas très bien comment souligner à ce point le caractère «dualiste» du quatrième évangile permet les ouvertures de la fin: «Postscriptum: Bonnes Nouvelles ? Lire Jean aujourd'hui dans notre monde multireligieux» (p. 218-225). C'est là aussi que la question du sens et de l'interprétation déborde les méthodes et que, jointe à la philosophie, la théologie réclame ses droits, sans céder à la spéculation (p. 148; bon exemple de discussion: p. 186). L'ouvrage est utile à cet égard aussi: il manifeste les lieux où les options sont inévitables, tout en étant sommées de se justifier.
Le chap. 6 peut plus facilement rallier les suffrages parce qu'il se meut davantage au plan formel: «Raconter l'histoire: le style de Jean». Plusieurs rubriques honorent cette approche également importante: «Quelle est l'habileté de l'auteur de l'évangile ?» - How Skillful Is the Gospel's Author ?; «Clarifications» - Clear Explanations, du genre de la traduction en grec de termes sémitiques ou de l'explication de coutumes religieuses (4,9); «Répétitions»; «Mots ambigus», «Incompréhensions», «Énigmes», «Ironie», «Images», bref un certain nombre de procédés, depuis longtemps répertoriés, par lesquels le message se trouve modulé. On le voit par l'ampleur des sujets abordés: la suite ne pourra qu'apporter des compléments d'information pour préciser ce projet du ou des narrateur(s)-conteur(s). La documentation est sans faille, surtout du côté anglo-saxon. L'exposé est pédagogique avec annonce des développements et conclusions synthétiques. À ce titre, le livre est un modèle du genre. Il ne se limite pas à des questions d'introduction mais entre dans le vif des grands sujets abordés par l'évangile johannique. La deuxième partie aborde: «Jean, interprète», en deux chapitres. «Jean: interprète des Écritures et des Sources au sujet de Jésus» (chap. 7) indique les deux subdivisions qui suivent. L'interprétation des Écritures est bien prise en compte, encore qu'un principe d'organisation, présent par exemple p. 198 (Torah, Prophètes, Sagesse), mériterait d'être observé pour éviter une dissémination de citations. «Jean: interprètes (au pluriel) pour des circonstances historiques changeantes» (chap. 8) ne peut pas faire l'économie d'un rappel de la théorie bultmanienne -sujette à caution- sur la rédaction progressive du texte, pour aborder par le détail ensuite les hypothèses de J.L. Martyn et R.E. Brown. «Évaluation: questions et positions-issues», met en évidence la fragilité des preuves, par documents à l'appui, de la séparation entre la communauté johannique et la synagogue, illustrée par l'expression aposunagôgoi-»exclus de la synagogue», et liée à la birkat-haminim-»bénédiction des hérétiques». «La résistance de l'évangile au monde de Rome» (p. 170-172) est bien rendue et partout soulignée, même si cet argument caractérise surtout l'Apocalypse. Les pièces du dossier sont bien établies en manifestant les zones d'incertitude qui demeurent encore. Ici encore, le texte johannique en appelle à l'interprétation et toute la question est de mesurer les implications pour aujourd'hui des positions que l'on adopte, notamment dans le contexte du dialogue entre Juifs et chrétiens.
La troisième et dernière partie: «Jean, Évangéliste», revient sur la question de l'auteur et de l'autorité du texte (chap. 9). Là encore les zones d'ombre se trouvent circonscrites. «L'évangile selon Jean» est un titre -peut-être- tardif: qui le démontrera ? «Auteur ou auteurs et éditeurs», évoque la genèse progressive de l'oeuvre et les hypothèses pour l'expliquer. On ne pouvait que revenir aussi sur: «Le « disciple que Jésus aimait »«. Le chap. 10 est synthétique: ««Les bonnes nouvelles selon Jean». Le pluriel est ici aussi de nouveau significatif. Il est difficile de réduire le texte à «une» bonne nouvelle. C'est cependant toujours au singulier que l'expression a circulé dans l'histoire, avec des acceptions différentes selon qu'il désigne tantôt un livre, tantôt le contenu du message de Jésus Christ, en particulier chez Paul. La christologie de Jean est centrée sur Jésus: il révèle le projet divin du don de la vie. Il faut dès lors s'expliquer sur la nécessité d'une révélation: «Pourquoi une révélation est-elle nécessaire ? Péché, Satan, Ioudaioi/« les Juifs », le monde». Les deux avant-derniers paragraphes sont dédiés à l'ecclésiologie: «La communauté de disciples: l'Église et l'Esprit»; «La communauté et les sacrements»; le dernier à: «Éthique», ce qui laisse sur une ouverture anthropologique bienvenue pour ne pas enclore l'évangile johannique dans un monde exclusivement religieux.
C'est aussi dans ce sens que se déploie le Postscriptum. Il aurait pu être mieux amorcé plus tôt quand il s'agit de pondérer les options prises au sujet du «dualisme johannique»; pour ma part, je l'ai toujours récusé sur la base d'un examen des textes pour battre en brèche toute dérive antisémite, inévitable à partir de telles prémisses. La bibliographie abondante et les deux index des auteurs modernes comme des sources anciennes contribuent encore à faire de ce livre aux dimensions en apparence modestes un ouvrage de référence et une synthèse remarquable. Cette copieuse recension cherche à la saluer. - Y. Simoens sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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