L'Église émergente. Être et faire Église en postchrétienté, préf. É. Parmentier et postf. J. Hassenforder

Gabriel Monet
Ecumenismo - reviewer : David Roure
Cet ouvrage, qui reprend en fait une thèse de théologie soutenue en juin 2013 à la Fac. de théol. protestante de Strasbourg, est doublement original: par son auteur, jeune pasteur adventiste, aujourd'hui enseignant à la Fac. adventiste de théol. de Collonges-sous-Sallèves (Haute-Savoie) après avoir exercé divers ministères pastoraux; par son thème, qui étudie en détail une problématique déjà largement développée dans le monde anglo-saxon mais encore relativement peu connue en France. Il s'agit ni plus ni moins de la manière de faire Église en Occident dans un contexte de post-modernité, de post-chrétienté (Monet préfère ce concept-là), et ce, sans se soucier le plus souvent de l'aspect confessionnel des choses. Cette manière est qualifiée par notre A. comme plutôt «liquide», ce qui lui permet de s'opposer à une forme statique ou davantage institutionnelle de concevoir l'Église.
La 1re partie (p. 17-188) décrit en détail les multiples formes de cette «Église émergente», des exemples très divers sont fournis qui peuvent aller d'un groupe de jeunes amateurs de skate ou de moto (à Gembloux) à celui qui favorise l'esprit communautaire au travers de la fabrication de pain (à Liverpool). Dans un essai de typologie, Monet distingue trois catégories d'Églises émergentes, selon qu'elles sont d'abord centrées sur la mission, sur le développement communautaire ou sur l'innovation liturgique; il présente aussi les promoteurs de ces Églises récentes, souvent non dénominationnelles; issus en grande partie de la nébuleuse évangélique, ils sont presque tous britanniques ou américains (un seul est français, Jean Hassenforder, qui a d'ailleurs rédigé la postface du présent ouvrage). Ils semblent avoir peu de références théologiques en-dehors de J. Moltmann. Honnête, l'A. indique aussi les principaux arguments de ceux, souvent plus âgés, qui portent sur ces Églises émergentes un regard - parfois fort - critique.
La 2de partie de l'ouvrage (p. 189-380) offre une réflexion théologique sur les défis ecclésiologiques que posent ces nouvelles Églises aujourd'hui. Chacun des trois chap. en étudie un aspect particulier. Tout d'abord, ces Églises se veulent «missionnelles» plus que missionnaires (mot qui leur semble aujourd'hui trop connoté négativement), avec l'assurance découverte (ou retrouvée!) que la mission de l'Église trouve sa source dans celle du Christ; là, c'est le missiologue, évêque et oecuméniste Lesslie Newbigin (1909-1998, Église de l'Inde du sud réunissant différentes communautés anglicanes, méthodistes, congrégationalistes, presbytériennes et réformées) qui semble avoir fortement inspiré ces Églises, mais - et c'est une des rares fois dans tout l'ouvrage - il est aussi fait référence à des textes catholiques, à savoir Ad Gentes 9 et Redemptoris missio 5. Ensuite, G. Monet envisage ces Églises comme étant «incarnationnelles», terme qu'il préfère explicitement (cf. p. 301) à celui d'»inculturées» plus familier aux catholiques; en fait, il s'agit que «l'Église p[uisse] vivre sa double fidélité, en étant radicalement attachée à l'Évangile tout en étant culturellement pertinente» (p. 286). Monet continue à citer Newbigin mais aussi Richard Niebuhr comme un certain nombre d'auteurs «émergents» anglo-saxons. Enfin, dans le chap. le plus long des trois (p. 311-380), il développe l'idée d'une Église qu'il appelle «expérientielle» (les «émergents» aiment bien les néologismes!), en commençant par citer, cette fois, Harvey Cox. Son objectif est clair: «Nous voulons simplement appuyer la vision d'une Église dans laquelle l'expérience spirituelle est intégrée dans un équilibre harmonieux entre ses dimensions intellectuelle, émotionnelle et relationnelle et où l'expérience de foi n'est pas désincarnée de l'expérience de vie» (p. 314). Cela touche alors aussi bien la question de la vérité (comme celle d'un texte préexistant, que ce soit la Bible ou une confession de foi), et donc de la foi elle-même, que celle de l'appartenance ecclésiale. L'A. va alors développer ces deux points, aussi cruciaux que sensibles, et qui sont envisagés de manières fort différenciées par les divers auteurs et Églises émergentes. Là aussi, il fait longuement appel à Newbigin, dont la volonté de «replacer l'Évangile, dont le texte biblique témoigne, dans sa dimension plus large de l'histoire de Dieu pour l'humanité» (p. 332) coïncide aujourd'hui avec la majorité des Églises émergentes dans leur prise en compte de l'histoire, ce qui n'était pas le cas de la plupart des communautés évangéliques jusqu'il y a peu. Par ailleurs, ces Églises émergentes promeuvent de nouvelles modalités d'appartenance ecclésiale, à la fois plus ouvertes et plus souples, mais tout en «réaffirm[ant] l'importance d'une appartenance communautaire comme intrinsèque à l'Église» (p. 344). En fin de ce chap., Monet veut s'efforcer de fournir «un regard théologique sur l'expérience», s'appuyant sur la pensée de grands auteurs comme Moltmann, Newbigin, Ebeling mais aussi Schillebeeckx. Le premier lieu possible, et même «privilégié», dit-il, d'une Église expérientielle est, et cela peut surprendre, la liturgie; suivent ensuite la diaconie, la vie quotidienne des membres de l'Église, enfin, la théologie.
Dans sa conclusion (p. 381-388), le pasteur Gabriel Monet se pose la question de l'avenir de ces Églises émergentes déjà très développées dans le monde anglo-saxon, de façon beaucoup plus «timide» (p. 386) en France! Pour lui, il est encore trop tôt pour trancher entre les trois hypothèses suivantes: soit ces Églises disparaîtront vite, n'ayant été qu'»une mode passagère et un épiphénomène sans lendemain» (ibid.), soit elles vont croître, mais en se séparant des Églises institutionnelles qui les ont vu le plus souvent naître, soit, tout en continuant à prospérer, elles vont s'intégrer sans trop de conflits dans ces Églises plus anciennes qu'elles vont contribuer à renouveler en profondeur; on sent que c'est cette dernière hypothèse qui a la préférence de notre A.; en tout cas, il faut le remercier d'avoir, sans attendre, fait découvrir à un public francophone encore assez ignorant une nouvelle réalité d'Église tout en tentant d'y apporter le regard évaluateur et critique du théologien! - D. Roure

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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