L'élargissement de la métaphysique

Miklos Vetö
Filosofía - reviewer : Emmanuel Tourpe
Ces deux nouveaux ouvrages de Miklos Vetö font évidemment corps. Le second, Explorations métaphysiques, est un lourd recueil de 19 articles que l'A. n'hésite pas lui-même à appeler un «volume compagnon» du premier. Les textes présentés ont pour certains une origine déjà ancienne mais tous ont été retravaillés de manière à former des chapitres cohérents dans un livre très construit. Les thèmes abordés, comme un index thématique opportun le montre, sont multiples et touchent à bien des domaines de la métaphysique: nature, ontologie, transcendance, théoricité, néant etc. et sont réunis en six ensembles: liberté et amour; l'image; singularité et unicité; eidétique; l'espace et le temps; la volonté. Ce dernier philosophème est l'une des marques de fabrique propres à l'A., avec cette particularité curieuse que les noms attendus de Blondel et Ricoeur sont à peu près absents de sa réflexion. Celle-ci, nourrie plutôt de Simone Weil et de Malebranche, n'en reste pas moins de grande ampleur, se rendant capable d'éclairer la liberté, la fidélité et le désir à partir d'un véritable regard spéculatif. L'ambition d'une métaphysique fondée sur l'élucidation du bien et du mal «comme catégories ultimes de la volonté» (p. 28) est affirmée d'emblée comme, non seulement une thématique parmi d'autres, mais horizon d'ensemble de l'ouvrage: «le Bien et le Mal sont comme les plus hautes instances de l'Essence, mais aussi comme le plus haut moment où l'Essence semble accomplir une synthèse originaire avec l'Être» (p. 28). Outre cette perspective morale, préparant une métaphysique de l'amour, nous avons singulièrement apprécié l'intérêt que porte M. Vetö à Merleau-Ponty, l'un des rares phénoménologues avec la lignée schelerienne qui ouvre à une interrogation métaphysique féconde. La discrétion des références lévinassiennes est plus curieuse.
On retrouve la perspective très nette d'ontologie morale dans le remarquable ouvrage fondamental intitulé L'élargissement de la métaphysique, qui est un chef-d'oeuvre. On pressent d'emblée que l'A. a concentré dans ce livre l'aboutissement d'une vie de recherches et de pensée, et le résultat en est l'une des meilleures contributions métaphysiques en langue française depuis Grondin et Léonard. Commençons par évacuer les questions qui fâchent: nous ne partageons pas l'avis de l'A. selon qui «l'actus purus» serait un synonyme de la fatalité, ni celui selon lequel le questionnement de la «nécessité» de l'Être nuirait à l'ontologie (p. 9). Sur ces questions, une meilleure connaissance des développements récents de la métaphysique thomiste post-heideggerienne (André, Siewerth, Ulrich, Beck, Puntel) aurait permis à l'A. des développements assez différents et une tout autre saisie de ce que l'acte pur signifie en termes de «nouveauté et de singularité» (p. 10). Mais une fois cette réserve faite, comment ne pas donner crédit à l'immense effort spéculatif fait par M. Vetö pour renouveler de fond en comble le questionnement et la fondation de la métaphysique en tant que telle à partir d'une double inspiration, post-kantienne et chrétienne? La perspective imposante de l'A. est une logique monumentale du Sens, qui élève au niveau d'une eidétique du temps et de l'espace la «puissance du neuf» et du singulier, pour s'achever dans une métaphysique de la volonté: «l'ontologique et l'éidétique s'écrivent certainement selon deux grammaires différentes, mais elles finissent par se réconcilier dans l'oeuvre de la volonté» (p. 13). Dans cette métaphysique, qui s'épanouit en philosophie de l'amour sur les traces de Gondos et de Weil, s'ouvre et se tend pour ainsi dire la polarité de l'être et l'essence qui s'élargissent l'un l'autre. Cette vue grandiose s'achève sur une philosophie de la création ou du «don véritable», auquel répond un «consentement» (p. 43), dans l'angle d'un «soi, principe et source d'écoulement, de diffusion, de même que d'autres soi pour accueillir et recueillir son courant» (p. 440). On ne sous-estimera pas l'importance philosophique de ce grand livre, dont la difficulté spéculative réelle ne doit pas rebuter des lecteurs en quête d'un regard métaphysique renouvelé et particulièrement rigoureux. - E. Tourpe

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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