L'éthique comme vocation. Se laisser choisir pour choisir, préf. J.-M. Hennaux

Th. Lievens
Moral y derecho - reviewer : Paul Favraux s.j.
Pour entamer la présentation de ce livre remarquable, nous n'avons rien de mieux à faire que de citer les premières lignes de la préface (tout aussi remarquable) de J.-M. Hennaux: «Le livre du P. Thierry Lievens nous propose, sous des apparences modestes, une éthique très originale. Son auteur place 'l'engagement total de soi envers un ou une autre qui nous aime, au centre et en surplomb de l'histoire humaine de chacun, de son histoire éthique'. Il aperçoit comme 'centre de l'histoire éthique de la personne la décision de se laisser choisir par un autre reconnu aimant'.»
Ce livre constitue le premier volet d'une thèse de théologie défendue à Paris (Centre Sèvres). La seconde partie est encore à paraître. Si 'se laisser choisir pour choisir' constitue le thème privilégié par l'auteur pour aborder les Exercices spirituels de saint Ignace, le livre fournit le fruit philosophique de sa méditation théologique (s'il est vrai que la théologie peut s'avérer source de progrès philosophique) en même temps qu'il présente, pour le lecteur extérieur, une introduction à cette théologie. L'A. croise les analyses philosophiques de Ricoeur (dans Soi-même comme un autre), la philosophie de Levinas, ainsi que L'Éthique dans l'univers de la rationalité de J. Ladrière.
De Levinas, il recueille l'orientation fondamentale et le début du mouvement éthique dans la rencontre d'Autrui; de Soi-même comme un autre il adopte le plan et la structure générale du développement de l'éthique: de soi (ch. I: Décider, c'est être soi) à l'autre ( ch. II: Être choisi, se laisser choisir et la possibilité d'un 'nous'), à travers des institutions justes (ch. IV: Du vouloir à l'élection (notamment la section 3 de ce chapitre: l'Alliance, une réalité à habiter et à construire); à Ladrière, il emprunte ses analyses remarquables du 'nous' et du 'redoublement' (p. 65) du moi instauré par le choix (ou la réception) du partenaire élu dans le mariage. Mais l'A. marque son originalité dans la désignation de cette situation particulière du mariage comme paradigme ou analogatum princeps de tout choix éthique. Citons encore une fois la préface de J.-M. Hennaux: «T. Lievens est amené à poser l'alliance mutuelle entière entre deux personnes - le mariage- comme référence fondamentale», de la totalité de l'éthique, préciserons-nous. Référence fondamentale, mais qui déborde analogiquement sur d'autres relations: amitié, thème déjà présent chez Aristote (57) - y compris comme coloration de l'alliance du mariage, fraternité à l'intérieur de la famille et au-delà. On comprend que la relation même du chrétien au Christ, dans le chapitre V: Théologie, soit abordée principalement sous cet angle de l''amitié' (244).
Soulignons encore, comme J.-M. Hennaux dans sa Préface, le tour résolument personnaliste de l'éthique ici présentée: l'amitié, comme l'amour, va à la personne, de l'autre en son unicité ou singularité (28) ou ipséité(35), opérant, de surcroît, par sa gratuité, le dépassement du manque par le débordement (202). La contingence est ainsi, commenterions-nous, justifiée, rachetée, exhaussée en surabondance. (L'A. rejoint ici, consciemment ou non, l'ontologie du P. A. Chapelle).
On soulignera l'apport très riche d'analyses phénoménologiques (notamment dans le ch III: Affectivité et décision) du 'coeur', de l'amitié, de la sensibilité, ainsi que le rôle respectif de l'intuition, de l'intelligence et du 'sentiment' (le sentiment du devoir, le sentiment de la responsabilité (131) ; comme plus loin l'importance de la gratitude (180). En tout cela, il s'agit d'intégrer à l'éthique toutes les passivités (cf. le 'consentir', 106-110) sans lesquelles le soi et son initiative éthique ne peuvent ni s'inaugurer, ni se déployer ni s'achever.
On attend avec impatience la parution du second volet, proprement théologique, sur le 'se laisser choisir pour choisir' dans les Exercices spirituels de saint Ignace. Une légère remarque: le thème de la relation d'amitié avec le Christ, intégré dans celui de l'alliance et de l'Alliance (avec Dieu), permet-il d'honorer entièrement la vertu de religion appelée à présider aux relations de la créature avec son Créateur et du pécheur avec son Sauveur? On trouverait chez Blondel (IVe et Ve parties de l'Action [1893]) des accents différents et sans doute complémentaires. Légitimité et nécessité de philosophies plurielles dans l'approche du mystère inépuisable! En tout cas, l'ouvrage présenté explore et trace une voie très originale et féconde, qui se recommande vivement à la lecture. L'index thématique, à la fin du livre, s'avérera très utile pour revenir sur les analyses les plus originales, notamment phénoménologiques (abandon, confiance, consentement, désir, émerveillement, gratitude et gratuité, imagination, mémoire, pardon, passivité, réciprocité, sollicitude, etc.).- P. Favraux

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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