L'Évangile de la famille, trad. J. Hoffmann

Walter Kasper
Moral y derecho - reviewer : Alain Mattheeuws s.j.
Ce livret, au titre évocateur non d'une doctrine mais d'un essai de retour aux sources, contient l'exposé fait par le Card. Kasper aux membres du Consistoire extraordinaire à la demande du pape François (20 et 21 février 2014). Son objectif est d'apporter un fondement théologique à la famille et d'exposer plusieurs questions considérées comme disputées. Son intérêt est de nous offrir les premiers pas du processus synodal en cours jusqu'en 2015. Il se présente comme une «ouverture musicale qui présente le thème, en espérant qu'à la fin nous sera offerte une symphonie, un accord de tous, même des voix partiellement dissonantes dans l'Église. (…) L'Évangile n'est pas un code législatif. Il est la lumière et la force de la vie qu'est Jésus Christ; et il fait don de ce qu'il exige» (p. 12-13).
Les étapes de la réflexion suivent le plan du salut: la création, le péché, le Christ, l'Église, questions et situations nouvelles.
Dès la création (I), nous accueillons des indications sûres sur l'image de Dieu qu'est l'homme, qu'est la femme. Égalité de dignité dans une différence: l'être homme et l'être femme sont fondés ontologiquement dans la création, c.-à-d. dans un don de Dieu. Dieu bénit ses créatures et «l'amour entre l'homme et la femme et la transmission de la vie sont inséparables» (p. 23). On notera que les références soulignées dans ce premier point ne sont pas celles auxquelles nous ont habitués les catéchèses de Jean-Paul ii.
Des structures de péché (II) sont apparues dans l'histoire humaine et demeurent dans la vie de famille (p. 29-33). Évitant un discours sur le péché personnel, le texte décrit sobrement les conséquences de l'éloignement de Dieu: aliénation entre l'homme et la femme dans la honte, aliénation des femmes et des mères dans la naissance et la douleur de l'éducation, aliénation du rapport entre l'homme et la nature et le monde. Brisures et conflits apparaissent aussi au sein de la famille: envie, querelle, meurtre, guerre fratricide, infidélité. La famille, comme l'Église, est aussi et encore un «hôpital de campagne» (p. 32).
Jésus est né dans l'histoire d'une famille (III). Il est le Sauveur de toutes les réalités. L'exigence du mariage (selon le plan originel: voir Mt 19,3-9) est une grâce. «Elle doit être donnée à l'homme: elle est un don de la grâce» (p. 36). Jésus«ramène le divorce à la dureté de coeur» (p. 36). Le Card. Kasper peut alors affirmer que la doctrine de l'indissolubilité est «un Évangile - une bonne nouvelle -, une parole définitive et une promesse qui demeure valable pour toujours» (p. 38). Mais, souligne-t-il, il y faut du temps: «En vertu de la loi du développement, la famille estappelée à croître toujours plus profondément dans le mystère du Christ (avec une référence à Familaris consortio 9, 34). Cette loi du développement me semble très importante pour la pastorale du mariage et de la famille. Elle ne signifie pas un progrès de la loi, mais une croissance progressive dans la compréhension et la réalisation de la loi de l'Évangile qui est une loi de liberté (Jc 1,25; 2,12)» (p. 41). Le théologien moraliste remarquera ici, si la traduction française «loi de développement» est exacte, une nouvelle manière d'exprimer la loi de gradualité tant discutée.
L'Évangile de la famille se concrétise dans l'«Église domestique», surtout en temps de crise (IV). La famille comme Église domestique, comme familia Dei, «doit être une maison pour tous, en elle tous doivent avoir le droit de se sentir chez eux, comme dans une famille» (p. 45). Le Concile a repris l'expression de Jean Chrysostome et cette notion s'est développée dans le magistère ultérieur. Mais notons que considérer les communautés de base, les petites communautés, etc., comme des églises domestiques ou des instruments pastoraux est une interprétation propre à l'A. qui en déduit des implications pastorales originales. Ainsi ces communautés aident-elles les anciennes structures de l'Église ou la famille nucléaire en crise depuis le XVIIIe s. Il faudrait donc, non pas reconstituer des Églises de l'Antiquité mais des «grandes familles» d'un type nouveau, dans un contexte familial qui va au-delà des générations «pour que tous trouvent un certain « chez eux »» (p. 49). Ces communautés domestiques sont appelées à s'ouvrir aux pauvres, aux gens simples et petits: «La compréhension de l'Église comme église domestique est fondamentale pour l'avenir de l'Église et pour la nouvelle évangélisation. Les familles sont les premières et les meilleures messagères de l'Évangile de la famille. Elles sont le chemin de l'Église» (p. 52).
À propos des divorcés remariés (V), que peut faire l'Église devant les nouveaux liens contractés? Le Card. Kasper prend à son compte l'enseignement et la pratique de l'Église:«Le caractère indissoluble du mariage sacramentel et l'impossibilité de conclure un deuxième mariage du vivant de l'autre partenaire sont une norme de la tradition de foi de l'Église qu'on ne peut pas abolir ou atténuer en se référant à une miséricorde facile et comprise de façon superficielle» (p. 54).
Mais, ajoute-t-il, miséricorde et fidélité vont ensemble. «L'homme pourra tomber aussi bas que possible, il ne tombe jamais plus bas que dans la miséricorde de Dieu» (p. 55). On saisit l'enjeu d'une telle approche: il s'agit de renouveler le ton et le cadre épistémologique avec lesquels l'Église pourra procéder pastoralement dans ces cas qui appellent la miséricorde divine (cf. la note historique, p. 55). Le Card. Kasper pose ainsi la question : «Un développement est-il possible qui, tout en n'abolissant pas la tradition dogmatique normative, porterait plus loin la question et approfondirait des traditions plus récentes?» (p. 56). La réponse ne peut être que différenciée. Deux situations sont alors analysées. La première est celle de divorcés remariés convaincus subjectivement que leur mariage antérieur, irrémédiablement détruit, n'a jamais été valide. Pour l'A., il convient de rappeler que «la validité d'un mariage ne peut être laissée à la seule discrétion subjective des personnes concernées» (p. 57). Mais on peut imaginer que la voie judiciaire, qui n'est pas de droit divin, ne soit plus la seule voie et que l'on trouve des procédures plus simples. Il faut donc réfléchir au caractère pastoral du chemin juridique: voir «derrière tout ce qui se passe, derrière chaque cause, des hommes et des femmes qui attendent la justice» (p. 59). Mais comment affronter la situation de divorcés remariés civilement et dont le mariage est bien valide? S'ils peuvent vivre la «communion spirituelle», comment sont-ils unis en vérité avec le Christ? Et comment alors ne peuvent-ils pas vivre la «communion sacramentelle»? Pourquoi les renvoyer dans «un chemin extra-sacramentel»? En faisant cela, «ne mettons-nous pas en question la structure sacramentelle fondamentale de l'Église»? (p. 60). Avouonsle, cette question est étonnante car elle renverse l'ecclésiologie traditionnelle, renouvelée à Vatican II, au sujet de l'Église-Sacrement.
W. Kasper prend l'analogie de l'apostasie lors des persécutions et de la réconciliation des lapsi, pour proposer non pas un «deuxième bateau» (un deuxième mariage) mais une«planche de salut». Entre rigorisme et laxisme, le chemin de conversion pourrait être délimité par plusieurs critères que le Cardinal énonce (p. 63). Il ne s'agit pas d'une voie large mais plutôt, au sens évangélique, d'un chemin étroit, nécessaire et bon pour éviter «pire». «Ce chemin suppose la discretio, c'est-à-dire le chemin médian et responsable de la juste mesure» (p. 65). Ce qui est énoncé correspond à ce qu'il avait proposé déjà en 1994 dans une lettre pastorale des évêques du Rhin supérieur (cf. notre analyse dans «L'amour de Dieu ne meurt jamais. La sainteté des divorcés remariés dans l'Église», NRT 136/3, 2014, p. 433-437).Pour le Card. Kasper, «la famille est l'avenir. Pour l'Église, elle est le chemin vers l'avenir» (p. 68). L'excursus qui accompagne cette conférence est intéressant à plus d'un titre. Mais il suppose un débat et une recherche. Il traite brièvement de la «foi inclusive», de «la pratique de l'Église ancienne» et propose un mode de procéder: «Que pouvons-nous faire» en quatre étapes qui ont fait et feront l'objet de nombreuses discussions. - A. Mattheeuws sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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